Dossier RAM : les explications du chef de l'Etat suscitent des réactions

Mardi, Décembre 19, 2023 - 19:36

La campagne électorale, clôturée le 18 décembre à minuit, en prélude des élections générales de ce 20 décembre, aura été un moment intense où plusieurs sujets sur la vie nationale ont été abordés. Outre la problématique du développement avec la construction des routes et d’autres infrastructures, celle du social du Congolais a largement été mentionnée, entre autres, les salaires, les conditions de travail, la sécurité urbaine et des biens, etc.

Candidat à sa propre succession pour un second mandat de cinq ans, le président Félix Tshisekedi, de manière récurrente, a fait face au dossier du Registre des appels mobiles (RAM) au cours de sa campagne. La population venue en foule lors de ses meetings à travers le pays, l'a souvent interpellé sur l’issue de ce dossier, vu comme une de la population par l’Etat. La population réclamait des comptes sur cette affaire par laquelle des opérateurs de Télécoms effectuaient des retenues sur les unités de consommation des abonnés, au nom du gouvernement.

Instituée en septembre 2020 par l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications du Congo (ARPTC), la taxe RAM avait pour objectif d’optimiser la sécurité et la qualité de service des réseaux mobiles sur le territoire national, de lutter efficacement contre la contrefaçon des appareils mobiles en déconnectant ceux identifiés comme non-conformes et de combattre le vol des appareils mobiles en bloquant ceux déclarés volés. Sa suppression a officiellement été décrétée le 1er mars 2022, après plusieurs manifestations d’indignation dans la classe socio-politique. Au cours de la campagne, le président Félix Tshisekedi aurait laissé entendre que les revenus du RAM ont construit des universités.

Lors d’une intervention sur la Radio Top Congo FM, il s’est dédouané de cette affaire, indiquant que ce dossier avait été traité au niveau du gouvernement Ilunga Ilunkamba. « Le RAM avait été une maladresse, parce que mes instructions avaient été mal suivies », a argué le chef de l’Etat. Il a ajouté, en lingala : « Quand j’avais reçu le projet de RAM du gouvernement du Premier ministre Ilunga, porté par un investisseur, j’avais clairement dit que je ne voulais pas que les frais soient prélevés sur les consommations des abonnés, mais sur les opérateurs de téléphonie, et c’est ce qui se fait aujourd’hui. Par la suite, je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais nous avons appris des choses quand l’affaire était arrivée au Parlement. C’est alors que j’ai dit que puisqu’il en est ainsi, on arrête (…) ».

Les réactions…

La version donnée par le président de la République a suscité des réactions de surprise et de contestation d’anciens membres du gouvernement Ilunga Ilunkamba et de son cabinet. Un ancien du Collège économique et financier à la Primature a rétorqué en ces termes : « Le chef de l’Etat a complètement tordu les faits pour chercher à dégager sa propre responsabilité et la rejeter à d’autres, alors que tout le monde sait que les télécommunications, qui sont un secteur stratégique, relèvent directement de l’autorité du chef de l’Etat, il était impossible que ce dossier se traite ailleurs, puisque de ma mémoire, il n’est jamais passé à la Primature pour ne fût-ce qu’une information au Premier ministre ».

Ancien vice-ministre du Budget du Gouvernement Ilunkamba, Félix Momat a renchéri sur son compte X (Twitter) : « Le gouvernement FCC– Cach que dirigeait, de main de maître, son excellence monsieur le Premier ministre, Ilunga Ilunkamba, n’avait jamais soulevé, ni abordé, encore moins discuté la question du RAM. Pire, cette question n’avait jamais été alignée à l’ordre du jour, même pas en esprit, pour un Conseil des ministresJe mets au défi tous les anciens collègues membres du gouvernement, ainsi que le secrétaire général du gouvernement, de démontrer le contraire en opposant une preuve irréfutable. Le sens de la République, c’est aussi l’exercice de la vérité ! ».

D’autres cadres à la Primature ont indiqué : « Il ne sert à rien de chercher à tordre la vérité quand les acteurs de cette histoire sont tous vivants et certains continuent d’occuper les mêmes positions que lorsqu’ils géraient ce dossier du RAMCe dossier était géré directement par la présidence de la République. Et pour preuve, lorsque le ministre des PT-NTIC se retrouve, avec les députés de l’Union sacrée, le Premier ministre Sama Lukonde et d’autres hauts cadres de l’Union sacrée, autour de Jean-Marc Kabund, qui coordonne alors l’Union sacrée, celui-ci signifie clairement aux députés que le dossier du RAM est une affaire qui touche personnellement au chef de l’Etat ». Le but de cette réunion, a-t-on rapporté, était de convaincre les élus nationaux de sauver Augustin Kibassa, ministre des PT-NTIC, moins convaincant lors de la plénière à l’Assemblée nationale. Et Kabund alertait alors les députés nationaux : « Si le ministre coule, c’est le chef qui sera exposé ».

Un agent du Secrétariat général des Postes, Télécommunications et Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication (PT-NTIC), ayant requis l’anonymat, a affirmé que la gestion directe du dossier RAM n’a concerné que la présidence, le ministre Augustin Kibassa Maliba des PT-NTIC et l’ARPTC, instance rattachée au chef de l’Etat, ajoutant que l’ARPTC avait même mis sur pied une direction ad hoc gérée par un proche parent du chef de l’Etat. Par ailleurs, a-t-on soufflé, parmi les partenaires au dossier RAM, il y avait la société 5C Energy, citée dans les rapports liés audit dossier et celui de l’Observatoire de la dépense publique (Odep) comme propriétaire du projet RAM, qui aurait été gérée par Isabelle Kibassa, sœur du ministre et épouse du frère aîné du président de la République. Créée en novembre 2019, 5C Energy aurait détenu 25 % sur les recettes du RAM, selon le contrat signé avec le ministère des PT-NTIC.

Jusqu’à ce jour, les revenus du RAM ne sont pas officiellement tracés, on ne connaît pas où seraient passés les 266 millions de dollars (selon les chiffres avancés par l’Odep en octobre 2021), non prélevés par les régies financières nationales et pas du tout inscrits dans le budget national. Une opacité qui conférerait au dossier Ram la caractéristique d’un nœud gordien, d’une écharde dans le pied du pouvoir en place.

Martin Enyimo
Légendes et crédits photo : 
Une affiche du RAM
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