Mise au point par des chercheurs australiens, cette banane est en cours d’expérimentation aux États-Unis. Elle arrivera dans la sous-région dans cinq ans
Ce n’est peut-être pas la panacée pour lutter contre la cécité, mais la banane génétiquement modifiée et enrichie à la vitamine A pourrait bientôt faire son entrée dans la sous-région. Il s’agit d’une banane — donc d’un fruit —, mais ses vertus sont loin de n’être que nutritives. Les savants qui l’ont mise au point à l’université du Queensland (Australie), avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, assurent que cette banane devrait corriger les carences en vitamine A dans l’organisme humain.
Une telle carence est, disent les chercheurs, la cause de la cécité dont souffrent de nombreuses personnes dans le monde, et plus particulièrement en Afrique. Mais elle peut aussi conduire, comme cela s’est vérifié dans 700 000 cas dans le monde, à la mort. C’est pour éviter ce genre de conséquences fâcheuses que des essais cliniques de six semaines vont démarrer aux États-Unis pour déterminer si cette banane OGM (organisme génétiquement modifié) peut effectivement apporter plus de vitamine A dans le corps. Se soigner en mangeant !
Pour l’heure, on en est à la phase d’expérimentation sur des volontaires américains. En cas de résultats probants, beaucoup de zones productrices ou consommatrices de banane pourraient profiter de ses bienfaits. Les chercheurs soutiennent que la banane africaine la plus courante de consommation n’est pas suffisamment riche en bêta et alpha-carotènes. C’est pourquoi le continent pourrait être parmi les premiers à recevoir à terme des plants de cette banane-médecine miracle.
Ainsi, la sous-région d’Afrique centrale pourrait recevoir d’ici à 2020 les premiers plants. Seraient plus particulièrement concernés l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Il s’agit de deux pays où la banane est un produit de consommation courante qui se décline en plusieurs variétés. Banane naine, banane plantain, banane rouge ou Cavendish (Gros Michel) sont familières en Afrique centrale. Presque chaque village possède son bananier, quelle qu’en soit la variété.
Inquiétudes et réticences
Mais le fait de les retrouver sous forme d’organisme génétiquement modifié pourrait ne pas suffire à retrouver de telles bananes dans la large et libre consommation. Car la question des OGM suscite toujours, même en Afrique, des interrogations chaque fois qu’elle a été abordée et présentée comme une source de bienfaits, une solution aux problèmes de la malnutrition ou de la faible productivité. Les camps des partisans et des adversaires sont toujours aussi férocement arcboutés à « vendre » l’une ou l’autre thèse.
Concernant les OGM, l’Europe, qui a décidé la semaine dernière de ne pas décider, ne peut pas servir de guide dans ce débat. En laissant le libre choix aux États membres de l’Union européenne d’accepter ou d’interdire ces produits sur son marché, l’UE trahit elle aussi l’embarras que suscite ce débat chez elle. Cette semaine, l’organisation écologiste Greenpeace est montée au créneau, accusant le riz doré, enrichi lui aussi à la vitamine A, de servir en fait de « cheval de Troie » à un ambitieux programme commercial visant une expansion des OGM en Europe.
Dangers et avantages supposés des OGM tournent autour du même débat : faut-il interdire ou faut-il accepter ? Les partisans de la première hypothèse font valoir le souci de précaution dans un domaine délicat où le monde ne possède pas suffisamment de recul pour documenter de manière convaincante les dangers que représenteraient les OGM. Ils font valoir qu’il n’est pas besoin de savoir les effets nocifs que cela pourrait produira dans la santé publique pour interdire dès aujourd’hui des produits dont on ne peut même pas obtenir la reproduction par simple bouturage ou par ensemencement naturel traditionnel.
Bien au contraire, les partisans des OGM avancent une foule d’avantages, tous au service, notamment, des pays en développement. Les OGM, assure-t-on en Afrique du Sud où on les a adoptés, permettent de planter des variétés de maïs, de blé, de riz, de soja, de pommes de terre, de patates douces ou même de coton qui peuvent lutter par elles-mêmes contre les maladies inoculées par les insectes. Elles sont, en plus, moins gourmandes en pesticides et en eau. Et elles assurent un meilleur rendement à l’hectare, affirme-t-on !
L’embarras sur cette question touche aussi le Vatican. En 1998, le Saint-Siège a fait l’objet d’une vigoureuse pression des lobbys pour qu’il se déclare officiellement favorable aux OGM. Les industries de biotechnologie voyaient l’effet démultiplicateur qu’aurait représenté une telle prise de position, l’Église catholique étant, par son organisme Caritas, parmi les cinq plus grands pourvoyeurs d’aide alimentaire au monde. Elle aurait donc pu massivement fournir des OGM dans les tonnes de maïs et de blé qu’elle distribue dans le monde. Une commission fut alors instituée pour trancher. Elle tarde à faire connaître ses conclusions.