Commerce : pénibilité du travail des fumeuses de poissons

Mercredi, Juillet 10, 2024 - 12:00

Depuis un certain moment de plus en plus de femmes se mettent au fumage de poissons. Une activité certes lucrative mais pénible au risque même de leur santé vue que celles-ci sont exposées à des fortes concentrations d'émissions nocives qui ont aussi un impact négatif sur l'environnement.

Sous un hangar, trois fours placés à l'entrée de la parcelle de Jordine dégagent des épaisses fumées noires accompagnées d'une forte odeur de brûlé qui s'empreigne fortement sur les vêtements et cheveux. Le visage perlé de sueurs, Jordine la trentaine vendeuse de poissons fumés au quartier Mayanga s'active autour du feu, manipulant avec dextérité le poisson. « Il faut beaucoup de tact pour tourner et retourner le poisson car il pourrait s'abîmer », explique Jordine qui s'est lancée dans cette activité de façon consciencieuse suite à sa rupture avec son conjoint. « C'est mon bureau vu que je passe le clair de mon temps ici avec ma sœur », avance Jordine fière de ce qu'elle a déjà accompli.  « Grace à cette activité j'ai pu construire dans la parcelle familiale mon petit cocon et très prochainement je compte ouvrir une boucherie, mais en attendant je fais louer les chaises », informe t- elle.

Depuis trois ans Jordine brave la fumée en période de forte chaleur comme sous le froid, et même si elle reconnait que cette activité est fastidieuse, elle est néanmoins consciente que c'est grâce à ce travail qu'elle a pu remonter la pente après son divorce. « Ce n'est pas toujours agréable de sentir l'odeur du fraîchin et de se réveiller à l’aube tandis que les autres sont emmitouflés dans leurs draps. Mais, ce travail est ma planche de salut car sans lui, je coulais », avance Jordine qui ne badine pas sur les notions de salubrité. « Cette activité exige une bonne hygiène de vie dans la mesure où, la manipulation journalière du poisson abîme de façon accentuée la peau des mains, son odeur colle fortement sur les habits, sans parler des ongles qui mal entretenues, deviennent laides à contempler », précise la commerçante.

Une activité qui a le vent en poupe

De nombreuses anciennes vendeuses de poissons frais se sont tournées vers la vente du poisson fumé. Effectivement, plusieurs raisons justifient cela. Devenue une habitude alimentaire selon les témoignages des commerçants, elle représente aussi un avantage économique car les congolais sont de plus en plus friands de poissons fumés et sur le plan de la péremption, les poissons se conservent mieux. « Avant je vendais le poisson frais, mais avec les coupures d’électricité, j'ai décidé de passer au fumage de poissons pour ne pas subir d'énormes pertes » révèle madame Suzie, vendeuse au marché de Mbota à Pointe Noire qui a réussi à fidéliser ses clients. « Grossistes et détaillants viennent directement à la maison, quant aux consommateurs journaliers, ils viennent au marché quand je vends », informe cette dernière visiblement satisfaite.

Une entreprise fructueuse, mais non sans conséquence

La fabrication du poisson fumé regorge plusieurs conséquences notamment sur le plan médical comme le souligne brièvement l'infirmier d'état Jonas Mouzinga. « Je reçois beaucoup femmes qui souffrent régulièrement de toux et d'irritations ophtalmologiques et la plupart après consultation révèlent qu'elles fument soit du poisson, la volaille ou encore de la viande », confie-t-il.

A cela s'ajoute les conséquences écologiques comme l'indique Marien Nzikou Massala, journaliste environnemental. « Le contact rapproché avec les flammes au cours du fumage produit une grande quantité importante d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, des dioxines, le monoxyde de carbone  qui est, hautement cancérigène » a relevé le journaliste qui pour amoindrir certaines contraintes comme l'irritation des yeux,  les larmoiements, ou encore les quintes de toux, les éternuements répétitifs, les douleurs pulmonaires, l'obstruction des voies respiratoires, suggère l'installation des fours améliorés car dit- il « Ils permettent de réduire au maximum  les dioxines et fumées qui donnent des maladies cancérigènes, de veiller à ce que le poisson ne soit pas trop grillé pour bénéficier de tous les apports nutritionnels du poisson ».

En outre même si de nombreuses femmes se tournent vers le fumage de poisson, il sied néanmoins de rappeler que cette activité est loin d'être reposant comme l'indique maman Pascaline qui est obligée d'écourter son sommeil pour s'approvisionner en poissons frais et de bonne qualité dans les chambres froides tous les matins. « Après l'achat du poisson, on les dissocie, ce qui fait qu'on a constamment les mains plongées dans de l'eau froide, et pour couronner le tout on reçoit des piqûres d’arêtes dues à la mauvaise manipulation », admet madame Pascaline qui a des éraflures sur les mains et des croûtes dues aux plaies car elle n'utilise pas de gants. « Parfois on écaille et vide le poisson, on recourbe sa queue pour l'introduire dans sa bouche à l'aide d'une tige en bois pour maintenir le poisson enroulé », a fait savoir sa fille, Gloria, étudiante en premier année à l’université qui n'hésite pas à être aux fourneaux quand elle n'est pas à la faculté. « Il faut au moins deux à quatre heure de fumage selon le poids du poisson », explique-t-elle debout face au four, essuyant ses yeux irrités par la fumée.

Selon plusieurs témoignages, la cuisson est sans doute l'étape la plus éprouvante car la fumée épaisse et noire qui se dégagent des fours est une souffrance pour les yeux comme l'indique Nancy, la vingtaine nouvellement convertit dans cette activité en raison des coupures intempestives d'électricité. « Nous utilisons pour la plupart la technique de fumage à chaud au charbon, c’est à dire des fours composés de tonneaux où l'on introduit du bois de chauffe ou le charbon », explique la jeune femme.

Annette Kouamba Matondo
Légendes et crédits photo : 
Deux femmes à la manœuvre du fumage de poisson/DR
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