Deuil familial : c’est qui le prochain sur la liste ?

Mercredi, Août 14, 2024 - 12:45

À Brazzaville, fait rage depuis plusieurs années déjà un des phénomènes des plus inédits et des plus obscurs, digne d'un scénario original de Nollywood Epic : celui des morts inopinées successives dans une seule et même famille. Si la " théorie de la liste " peut prêter à la dérision, le constat est pourtant là, les faits parlent d'eux-mêmes.

L'Afrique est un continent connu pour ses mystères, ses phénomènes inexplicables. Ces histoires, ces traditions, ces légendes se voulaient pour base une sagesse ancestrale, des valeurs traditionnelles dans un contexte coutumier et initiatique, et n'allaient prétendument pas à l'encontre du bien-être et de l'intérêt des familles qui parlaient même de certains bénéfices de protection, de bénédictions et d'abondance de la part des ancêtres.

Pourtant, depuis plusieurs années déjà, au Congo règne un phénomène de " liste " qui tend à prendre de l'ampleur et suscite une problématique sociétale importante. En effet, de nombreuses familles des Congolaises installées depuis deux-trois générations à Brazzaville sont régulièrement, cycliquement, secouées par des problèmes de santé, de maladie, de faits divers, qui se soldent souvent par des morts inopinées qui forcent le questionnement des uns et des autres, provoquent des consultations divinatoires, coutumières, religieuses et prêtent parfois l'opportunité de faire de parfaits coupables dans les profils qui paraissent avoir trop vite, trop tôt, trop fort accédé à l'aisance financière ou qui seraient connus pour avoir entre guillemets hérité d'une sorcellerie " naturelle " et qui sont alors isolés, menacés voire lynchés par une partie ou l'autre de la même famille.

Si l'on peut avoir l'impression de verser dans un monde de l'irrationnel, le constat est pourtant là : les décès se succèdent au sein d'une même famille selon un rythme bien défini et des causes similaires. Le constat est tellement frappant qu'il s'entend des messes basses de la part des proches, des amis et connaissances de la famille éplorée, pendant les veillées, le jour des enterrements et sur la place publique. Ce n'est plus un secret pour personne et cela ne l'a jamais été. Il suffit parfois qu'une personne prononce un nom de famille que l'autre s'écrie : " Ha ! La famille-là, ce sont des sorciers ! Ils bouffent les gens mal là-bas ". C'est de notoriété publique que certaines familles ne sont pas recommandables !

Des décès identiques à la chaîne

Comment expliquer que sur des fratries d'une dizaine de frères et sœurs, les décès se succèdent parfois à l'intervalle de mois jusqu'à ce que ne survivent que deux ou trois individus ? Comment expliquer que ceux qui s'en vont, s'en vont tous ou en grande majorité sur une modalité identique ? Soit qu'ils auraient tous fait un accident de la voie publique, soit qu'ils seraient tous morts dans l'eau, d'aucuns dans une rivière en excursion, d'autres au fleuve lors d'un trajet qui leur était étranger, d'autres encore à la piscine jusque même dans la bâche à eau où personne ne peut expliquer comment la pauvre âme s' y est retrouvée ou même en glissant sous la douche. L'essentiel étant que l'eau apparaisse dans le scénario. Soit encore qu'ils meurent tous de maladies chroniques connues et traitées, inconnues non-traitées, ou de courte maladie fulgurante qui finit par les achever en deux, trois jours ou même, tous, dans le taxi qui les emmenait à l'hôpital, pour un mal de tête.

Le plus spectaculaire serait peut-être le rythme de décès qui confère à ce phénomène de nom de " liste " : une fois par an pour les familles qui " auraient un peu honte ", une fois tous les six mois, une fois tous les trois mois, ou à chaque enterrement pour faire d'une pierre deux coups, et même à l'anniversaire de la mort d'un proche, le mystérieux décret voudrait que quelqu'un décède à la manière d'une seule date pour tout le monde ou même chaque fin d'année où le mois de décembre à lui-même devient synonyme de zone de turbulences.

D'aucuns parlent même d'un profil de victimes, soit tous les hommes de la fratrie, soit tous les premiers nés, soit tous les derniers, soit tous ceux qui ont accédé à un certain emploi, une certaine position sociale, soit encore ceux qui n'ont plus de figure de protection : les veuves, les orphelins.

Pour un pays qui ne se distingue pas particulièrement des autres du monde pour ses inventions, ses millionnaires, pourquoi les familles s'entretuent-elles ? À quoi serviraient tous ces sacrifices, si tant il se confirme qu'il s'agit bel et bien de sacrifices et non pas simplement d'un gros hasard sociétal qui mériterait une étude scientifique plus approfondie en lieu et place d'observations individuelles et collectives ?

Ce constat mettrait tout de même en lumière un niveau élevé de manque d'amour mutuel, de manque d'estime personnelle, d'envie, de haine de l'autre, de malveillance qui ne profiterait à personne. À force de voir des familles décimées, des fratries entières emportées, les relations entre les derniers survivants sont imprégnées de méfiance et de distance. Chacun reste dans son coin. Chacun fait attention à sa propre vie et à celle de ses enfants. Dans cinq ans, dans dix ans, à quoi ressemblera alors la famille au sens large à Brazzaville et dans le reste du Congo ?

Princilia Pérès
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