Face au phénomène d’insécurité qui prévaut en République du Congo, Franck Gandziri réalise une tribune libre.
Le constat est que partout ailleurs dans le monde, un grand nombre d'études établit la corrélation entre le niveau de vie social et la criminalité. Hélas, le Congo n'est pas en marge de ce constat irréfragable.
Bien au contraire, force est de constater qu’au vu de la recrudescence des actes criminels perpétrés par des jeunes délinquants, appelés "bébés noirs", dans les grandes localités du Congo, et compte tenu de la permanence et de l'ampleur qu'a pris ce phénomène sociétal inédit, il y a lieu de s'interroger sur ses origines.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'entrée en délinquance de ces jeunes, à savoir les facteurs familiaux (l'inactivité des parents) ; les facteurs sociaux (la vie scolaire) ; la promotion des antivaleurs et de la violence prônée par certains textes d’artistes musiciens et l'absence d'une chaîne répressive efficace.
Ma proposition est celle qui consiste à identifier les facteurs à la base de cette délinquance juvénile en faisant un état des lieux descriptif de ce phénomène incontrôlé par les forces de l'ordre, lesquelles semblent être dépassées par l'ampleur de celui-ci à l’heure où, désormais, il devient terriblement préoccupant.
En effet, les carences éducatives dues à l'affaiblissement de l'autorité parentale, dans des contextes où les parents sont démunis et sont donc dans des situations financières difficiles, ont une influence sur les actes délictuels commis par ces délinquants.
J’en déduis que la précarité financière liée à l'absence de travail des parents et un contexte familial dégradé sont propices à l'éclosion de ce type de conduites, en ce sens qu'ils créent de la frustration chez ces jeunes, et donc les prédisposent à la rébellion et à la désobéissance.
Il est possible que les conditions de guerre soient susceptibles d'entraîner, à moyen ou long terme, une augmentation de la cruauté, de l'insensibilité, du sadisme, voire de la criminalité.
Tous ces symptômes sont renforcés par une impossibilité au retour à une vie normale, et peuvent probablement conduire à une désocialisation.
S’ajoutent les facteurs sociaux : les défaillances du système éducatif ou la faillite de l'école. Au Congo, depuis plusieurs décennies, l'école a cessé d'être une source de transformation morale, intellectuelle et sociale de la population, à travers l'éducation et la socialisation pour la promotion des valeurs.
En effet, l'impact de l'école reste questionnable, non seulement sur les dérives de la jeunesse et ses transgressions à l'égard des institutions de la République, mais aussi au regard des crimes économiques perpétrés par l'élite intellectuelle congolaise.
Ainsi, avec la faiblesse du système éducatif, l'école, pour la jeunesse congolaise, a désormais un goût d'amertume : en témoignent les situations de violences enregistrées au sein des établissements scolaires, et leur vulgarisation dans la société.
Si l'école est censée être le cadre de régulation de comportements déviants et de la délinquance, on a du mal à comprendre que c'est au sein de cette même institution que l'on retrouve désormais des tendances de déviances et de délinquances, qui se révèlent être le continuum des crimes de grande envergure commis dans la société congolaise.
Je propose de remettre l'école au centre de cette société.
Et puis, il y a l'absence des mesures répressives : l'inertie de la police nationale et de la justice. Et pourtant, l'État a mis en place le Haut-Commissariat pour la réinsertion des jeunes délinquants. Mais, avec la survivance et la prolifération des agissements délictueux des "bébés noirs", se pose inexorablement la question de la responsabilité des pouvoirs publics.
Il y a un manque de tribunaux répressifs appelés à se prononcer sur la culpabilité de ces jeunes délinquants, et sur les peines qui doivent leur être infligées. Cela contribue à pérenniser ce phénomène de banditisme de grande envergure.
Comment en sortir ?
Parmi les pistes de sortie, on peut retenir la primauté de l'éducatif sur le répressif. Si, au Congo, la lutte contre la délinquance juvénile a souvent porté sur une répression défaillante, de fait une nouvelle conception de la justice des jeunes délinquants s'impose.
En effet, la mesure éducative devrait être la règle, et la sanction l'exception. Dans ce nouveau cadre, il faudra créer des institutions chargées d'assurer une mission d'éducation et de prévention auprès des jeunes délinquants.
Des centres de réinsertion sociale pour les sortants de prison doivent être créés. La réinsertion des jeunes délinquants sortant de prison est une condition indispensable de la prévention de la récidive.
À ce titre, l'État et le monde associatif devraient créer des centres de réinsertion sociale, avec pour mission d'assurer l'accueil, le logement, l'accompagnement et l'insertion sociale de ces délinquants, en vue de les aider à recouvrer une vie normale.
Cela passe par la proposition d'un accompagnement, en vue d'exercer une activité professionnelle post-carcérale, et de faire apprendre un métier à ces jeunes qui, pour la plupart, sont déscolarisés et désocialisés.
Il va falloir élaborer des perspectives d'emploi pour les jeunes. Les pouvoirs publics et la société peuvent être les premiers responsables des fautes que l'on impute à la jeunesse, car ils ne leur offrent pas toujours tout ce qu'ils sont en droit d'attendre : participation à la vie active, réussite scolaire et perspectives d'emploi.
Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que la lutte contre la pauvreté, le chômage de la populations et les défaillances du système éducatif sont, entre autres, les causes majeures de la délinquance juvénile.
J’ajoute à cela les faiblesses d'une police et d'une justice qui ne sanctionnent pas assez, leur passivité liée au manque de réprimande, qui sont autant de constantes venant se greffer sur les facteurs précités, lesquels n'augurent pas d’une accalmie ou sortie de crise dans des jours prochains !
Franck Gandziri est un ancien de la Cellule de Magenta à Paris, militant du Parti congolais du travail (PCT) et actuel membre du bureau de la Fédération PCT France-Europe.