Les programmes de lutte contre le VIH et le sida au Congo n’excluent pas les groupes défavorisés, en l’occurrence les professionnels du sexe ou les homosexuels. Si des politiques entières sont conçues en faveur de ces cibles par les structures compétentes, les témoignages parfois émouvants des malades eux-mêmes constituent de véritables campagnes de sensibilisation. L’aveu de Gisèle, une Congolaise à la vie hachée, n’est sans doute pas le plus poignant et le plus instructif pour sauver des vies face à la pandémie du VIH et le sida. Cette histoire, racontée avec le cœur, lève l’ombre sur la situation de plusieurs personnes dont la vie rejoint celle de Gisèle. Le récit qui suit a été autorisé par elle
Sous les lumières tamisées du Renouveau bar, au centre-ville de Brazzaville, Gisèle s’adonne à des déhanchements relevés pour s’attirer le regard d’un gentleman qui vient de garer une grosse cylindrée de marque Toyota. Visage écrémé et jambes à moitié nues soutenues par une petite jupe, c’est d’un regard seulement qu’elle fait asseoir le gentilhomme.
« Vous voyez, c’est comme ça que ça se passe. La communication passe par les gestes. Lui, je le connais. Mais il n’a jamais eu la chance de me croiser. Une copine m’avait soufflé qu’il déteste les préservatifs. Voilà un suspect ! », Confie Gisèle, sans entrer dans les détails. La Congolaise de 36 ans avait, en effet, accepté de nous faire des aveux sur sa vie de prostituée et celle de ses amies. Pour glisser dans son intimité, elle nous avait suggéré de « jouer le jeu ». Cela voulait dire se voir souvent et faire semblant d’être de bons amis. Et cela faisait déjà plusieurs jours que nous discutions dans différents endroits.
Gisèle est entrée dans le plus vieux métier du monde à 32 ans. Elle venait de Pointe-Noire où ses conditions de vie avaient empiré suite au décès de son oncle paternel, son seul tuteur depuis la mort de son père. Elle avait 28 ans lorsqu’elle arriva à Brazzaville. Prise au piège des délices de la vie à plusieurs partenaires, elle s’était fait enrôler dans un club de jeunes filles aux allures de « femmes d’affaires ». Belles et expertes en manipulations, elles avaient sauté l’étape de maîtresses de plusieurs hommes pour choisir un autre mode opératoire : la prostitution. Mais pas n’importe laquelle, la prostitution de luxe.
Comme la plupart des Congolaises appelées « prostituées de luxe », Gisèle connaît le centre-ville qu’elle considère comme son lieu de travail. Les filles s’y disputent les clients huppés, à la recherche de sensations fortes, avec celles de l’autre rive qui envahissent les couloirs des bars et cafés. Elles proposaient des tarifs souples, des prix « non conventionnels », selon la Congolaise. Pour se maintenir à ces endroits, ces filles, raconte Gisèle, développent des réseaux pour s’arroger les clients et même les habitués. Rangées dans la vulgarité, ces demoiselles ont pollué l’atmosphère et rendu « l’affaire » trop « basse».
« Elles sont parties grâce à l’opération Mbata Ya Bakolo. Il n’y a pas de manière chez elles et l’on sait tout de suite que c’est une prostituée. Or, il faut savoir jouer. Il y a des clients qui n’aiment pas se dévoiler », raconte Gisèle qui est revenue, depuis quelque temps, a son carreau du rond-point City Center. « C’est l’un des meilleurs endroits. Ici, c’est possible de tomber sur un “love” », souligne-t-elle.
Et, commença alors sa vraie histoire. Celle qu’elle regrette.
Le « love », la dangereuse amourette
Le « love », c’est le client régulier. C’est le type qui finit par succomber aux charmes après des prestations saluées et renouvelées. Au fil du temps, le love participe à la vie sociale et économique et paie même le loyer, explique-t-elle. Gisèle avait rencontré un « love » un soir d’avril 2013, après une fine pluie. Quatre mois de passion s’étaient passés sans que cette nouvelle vie ait secoué ses prestations au centre-ville avec les clients occasionnels. Son « love », un quinquagénaire, marié, dont les enfants et la femme résident en Europe, tentait de la persuader d'abandonner le métier de prostituée au deuxième mois de leur idylle. « Il faisait quelques crises de jalousie pour me faire avaler la pilule », ajoute-t-elle.
« J’étais prête à accepter s’il s’engageait vraiment. Mais j’avais peur d’une chose. Je voulais m'assurer qu’il n’était pas malade. Or, nous sommes allés ensemble, un jour, sans préservatif. Et cela me stressait », raconte Gisèle. Elle avouait regretter ce soir-là. Après une longue soirée passée en boîte, elle avait dormi chez le « love ». Elle se souvient avoir des préservatifs féminins dans son sac à main pour en enfiler un au cas où. Mais, emportée par la fortune, la confiance et la sincérité que clamait son « love », elle a laissé les choses partir trop vite.
Gisèle explique que plusieurs filles tombent parfois dans ces coups lorsque sur le terrain il y a moins de clients. « À la dernière minute lorsqu’il y a rareté de clients, l’on peut en trouver un et on cède. Il arrive, lorsqu’on tombe sur les hommes violents, qu'on se laisse aller », souligne-t-elle. Mais son cas était particulier, se pressait-elle d’expliquer.
« Si un homme me disait qu’il n’a pas de préservatif ou quand je sentais qu’il fait semblant, j’utilisais les préservatifs féminins. Et là, le prix change. Il y a des hommes qui détestent les préservatifs et qui peuvent risquer leur vie pour quelques minutes. Il y en a aussi qui sont malades et qui veulent transmettre le virus. Face à tout cela, j’utilisais les préservatifs féminins », se souvient –elle, regrettant toutefois le soir où elle fit l’acte sans le latex. Le préservatif s’était, en effet, cassé par précipitation, raconte-t-elle. Et le love n’avait pas hésité à poursuivre…
Le jour le plus sombre…
En février 2014, après des mois d’hésitation, Gisèle a voulu connaître son état sérologique. Rien ne présageait qu’elle fut malade. D’ailleurs, pendant toute la période de doute elle avait rencontré quelques anciens « loves » qui n’ont pas résisté à son charme. Chez les hommes, raconte-t-elle, il y a toujours un sentiment de retour au passé et d’insatiabilité. « J’étais fauchée et lui (love) était allé voir sa famille en Europe, donc j’avais renoué, pour quelques temps, avec d’autres. Et bien sûr, avec un ou deux nouveaux clients également, confie Gisèle. Ces gens-là peuvent être malades. J'en reconnais un ou deux qui appréciaient d'aller naturellement. Mais je tentais de les persuader. »
C’est à Bissita, un centre de santé situé à Bacongo, qu’elle a eu les résultats de son test sérologique. Gisèle était bel et bien infectée. Son moral était atteint. Mais les conseils et le traitement antirétroviral démarré tôt équilibrent sa vie. Elle n’a rien perdu de ses rondeurs, et sa peau est toujours éclatante. Le « love » s’était fait rare depuis des mois. « Son téléphone ne passe plus. J’ai toujours cru que c’est lui qui m’a transmis la maladie », se plaint-elle, chez elle, a Moungali.
Ce qu’elle regrette, c’est de n’avoir pas largement profité de cette vie. Pour être attirante et vendre cher sa peau, il faut de jolis habits et des parures de luxe, explique-t-elle pour justifier ses dépenses. « Je continue à fréquenter mes amis. Et je reçois toujours les coups de fil de quelques gars qui se souviennent de moi. Parfois je bois avec eux en ville. Mais ils ne savent pas que je suis malade. La vie continue », nous rassure-t-elle.
Propos difficile à digérer. Car si Gisèle, atteinte du VIH-sida, continue à fréquenter son beau milieu, il est possible qu’elle contamine des « viveurs » en bonne santé. Que dire de ses anciens « love » retrouvés pendant ses moments de galère et de ceux qui ont succombé à son charme sans le moindre soupçon sur sa maladie ? Avaient-ils utilisé les préservatifs ? Et s’ils s’étaient retrouvés dans le cas de Gisèle où pouvoir, brutalité et passion peuvent influencer des décisions ? Autant de questions.
La dernière fois que nous avons rencontré Gisèle, elle disait vouloir se dévoiler comme le couple Maba pour aider aux changements de comportement chez les filles, et les prostituées en particulier. Mais se dévoiler, doutait-elle, c’était « tuer à petit feu tous ceux qui sont passés par elle », car ils se reconnaîtront dans la peau de malades.