Figure de proue de l’industrie musicale congolaise, Eddy Ngombe partage sa vision pour l’avenir des droits d’auteur au Congo. Producteur, éditeur et président de l’Union des producteurs de musique du Congo (UPMC), il apporte un éclairage unique sur les défis actuels du Bureau congolais du droit d’auteur (BCDA). Dans cette interview exclusive, il combine son expérience personnelle et son expertise pour proposer des solutions concrètes visant à moderniser la gestion des droits d’auteur, en soulignant l’importance d’une réforme collaborative pour soutenir la création artistique et renforcer l’industrie culturelle congolaise.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : L’actualité culturelle se focalise actuellement sur les droits d'auteur et la gestion du BCDA. Pouvez-vous nous expliquer la situation ?
Eddy Ngombe (E.N) : « Le cadre juridique du BCDA, organe unique de gestion des droits au Congo, est défini par la loi 24/82 du 7 juillet 1982. Cependant, cette loi est devenue inadaptée face aux nouvelles habitudes de consommation et aux évolutions technologiques, législatives et juridiques. Un avant-projet de loi a été élaboré pour la moderniser, et une commission de validation dont je fais partie a été réunie le 9 février 2024 par la ministre de la Culture. Cela démontre l’engagement du gouvernement à faire évoluer le cadre juridique et administratif. Néanmoins, la situation reste tendue et nécessite des actions fortes et un dialogue pour éviter une dégradation ».
LDB. Le BCDA, dans sa forme actuelle, peut-il efficacement gérer les droits des artistes et apaiser les tensions ?
E.N : Le BCDA souffre de plusieurs problèmes structurels. Je parlerais des anomalies juridiques d’abord. Vous savez, le décret 86/813 du 11 juin 1986, qui régit son organisation, s'appuie sur une Constitution obsolète (1979) et présente des incohérences en matière de droit constitutionnel, administratif et du travail. Ensuite, il y a la gouvernance contestable. Le conseil d’administration, présidé par le ministre de la Culture, inclut des représentants politiques et syndicaux, ce qui pose question sur son indépendance et sa représentativité du milieu artistique. J’évoquerais aussi la gestion des droits défaillante. Plus de 50% des bénéficiaires actuels sont rémunérés de manière aléatoire, voire abusive. Les perceptions se font sans listes précises des œuvres, ce qui est contraire aux pratiques internationales. Enfin, il y a une répartition inadéquate. Le système actuel ne tient pas compte des variations de popularité des œuvres, distribuant les mêmes droits trimestre après trimestre, ce qui est irréaliste et injuste.
Ces problèmes remettent en question la capacité du BCDA à remplir sa mission fondamentale de perception et de répartition équitable des droits d'auteur. Une réforme en profondeur semble nécessaire pour restaurer la confiance et l'efficacité du système.
LDB. À la suite de nombreuses déclarations des artistes, de l’Union des musiciens congolais et d'autres acteurs culturels, peut-on considérer que le BCDA est en crise ?
E.N : En effet, je considère que le BCDA est en crise et en situation d'illégalité depuis longtemps. J’avais déjà relevé ces incohérences dans un article des Dépêches de Brazzaville en septembre 2018, où j'avais proposé des solutions élaborées avec divers acteurs du secteur culturel.
LDB. Quelle est votre position aujourd'hui, étant donné votre implication dans la rédaction du projet de loi ?
E.N : Ma position reste républicaine. Il est crucial de maintenir un dialogue entre le ministère de tutelle et les ayants droit. Le climat actuel est tendu, et il est nécessaire de réunir les acteurs du secteur culture, mobiliser les compétences disponibles, redéfinir le fonctionnement et l'organisation du BCDA, renouveler la composition du conseil d'administration. Ces recommandations se basent sur l'obsolescence des textes actuels, les graves manquements dans la gestion, les nombreuses irrégularités qui affectent le quotidien des artistes congolais, etc. Le ministère de l’Industrie culturelle a tous les moyens pour réformer en profondeur le BCDA, afin qu’il serve véritablement les créateurs et contribue à l’amélioration de notre culture.
LDB. Quelle est votre expérience personnelle avec le BCDA ?
E.N : Je suis inscrit au BCDA depuis 2005 en tant qu'auteur-compositeur-producteur et éditeur. Je suis l'auteur-compositeur d'un des titres congolais les plus diffusés ces 10 dernières années ("Affaire ya Poukou" interprété par Doudou Copa), pour lequel je n'ai rien perçu depuis 2006. Je possède le catalogue Tamaris, l'un des plus riches et actifs du Congo, qui n'a jamais reçu de rémunération du BCDA.
Pour souligner l'importance des droits d'auteur, je peux citer une jurisprudence : nous avons gagné un procès contre un opérateur téléphonique en RDC pour l'utilisation non autorisée d'une chanson dont je suis producteur. L’arrêt N°177/2015 du 17 décembre 2015 de la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) de l'Ohada nous a accordé 300 000 dollars de dommages et intérêts. Cette expérience démontre l’urgence de réformer le système de gestion des droits d'auteur au Congo pour protéger efficacement les créateurs et assurer une rémunération juste de leur travail.