Environnement: des ONG lancent la campagne "Notre terre sans pétrole"

Jeudi, Octobre 31, 2024 - 11:45

Cette action constitue un vibrant appel pour protéger les terres et les écosystèmes précieux de la République démocratique du Congo (RDC)contre l’exploitation pétrolière et gazière. Elle en appelle à l'abandon définitif de tout projet futur visant à attribuer de nouveaux droits d’exploitation d’hydrocarbures, et l’annulation des deux contrats de partage de production relatifs aux blocs gaziers et qui ont déjà été signés.

Près de 150 organisations congolaises, mouvements et groupes communautaires ont lancé, le 30 octobre 2024 à Kinshasa, la Campagne "Notre terre sans pétrole". Cette mobilisation de la Société civile lancée officiellement au cours d'une conférence de presse tenue dans la capitale congolaise est sa réaction contre la mise aux enchères de blocs pétroliers et gaziers dans des zones écologiquement sensibles, incluant des territoires des communautés locales, des peuples autochtones et des aires protégées  Dans cette action, la Société civile exige un abandon définitif de ces projets.

Dans la déclaration lue au cours de cette activité, les organisations signataires ont, en effet, salué la décision du 11 octobre 2024 du ministre des Hydrocarbures d’annuler partiellement cet appel d'offres pétroliers et gaziers lancé le 28 juillet 2022 en RDC, faisant suite aux efforts soutenus des organisations de la Société civile tant nationales qu’internationales contre ledit appel d’offres. citant le ministère, ces organisations ont rappelé que l'annulation a été motivée par plusieurs raisons liées aux offres dont l’absence de candidatures pour certains blocs, des offres non recevables, des cas de dépôts tardifs, des offres inappropriées ou irrégulières et pour un défaut de concurrence.
Mais, pour la Société civile, ces problèmes ne sont pas nouveaux pour elle, qui dénonçait ces dérives dès le début du processus. "Celui-ci n’a jamais tenu compte de l’avis de communautés ni de leur bien être, et encore moins des promesses de développement faites au peuple congolais. Les dérives constatées depuis le lancement de l’appel d’offres ont mis en lumière un manque de transparence et de respect des lois en vigueur, mettant en danger la vie des populations locales, les écosystèmes fragiles, une biodiversité sans pareille, ainsi que l'économie du pays", ont souligné ces organisations. Et de faire savoir que l’appel d’offre a déjà exposé le pays à des risques économiques en raison de nombreuses irrégularités commises dès le départ et tout au long du déroulement. 
Dans le nombre de ces irregularités, la Société civile a notamment indiqué que les 11 des 27 blocs mis aux enchères n'ont jamais été validés par le Conseil des ministres, en violation de la loi sur les Hydrocarbures, et 13 blocs se trouvaient dans des aires protégées, contrevenant ainsi à la législation environnementale. "Ces manquements présentent un risque de poursuites judiciaires de la part de multinationales, qui pourraient réclamer des dommages et intérêts à l’État congolais. En 2018, ce dernier a déjà été condamné à verser plus de 600 millions de dollars à l'entreprise sud-africaine Dig Oil, en raison d'irrégularités liées à des blocs pétroliers dans la région du Graben Albertine et de la Cuvette Centrale", ont précisé les ONG signataires.

Saluer l'annulation partielle de l'offre et opposition à toute exploitation pétrolière et gazière

A en croire la Société civile, sa déclaration rendue publique a pour objectif de saluer l’annulation partielle de l’appel d’offres, tout en réaffirmant son opposition à toute exploitation pétrolière et gazière en dans le pays. "Une telle exploitation aurait des conséquences désastreuses sur la vie des Congolais, la sécurité alimentaire, la préservation de la biodiversité, les droits fonciers et les régimes de pêches ruraux, ainsi que sur la lutte contre le changement climatique. Elle irait également à l'encontre de lois nationales et des engagements pris par la RDC", ont prévenu les ONG signataires. Pour toutes ces raisons, ont indiqué ces organisations, la campagne "Notre terre sans pétrole" appelle à l'abandon définitif de tout projet futur visant à attribuer de nouveaux droits d’exploitation d’hydrocarbures, et l’annulation des deux contrats de partage de production relatifs aux blocs gaziers et qui ont déjà été signés.

Des irregularités sur toute la ligne

Des ONG signataires ont relevé, en effet, que les deux des trois blocs gaziers qui ont fait l’objet de l’appel d’offre en 2022 ont été attribués avec la signature de Contrats de partage de production en violation de diverses dispositions de la loi sur les hydrocarbures. "C’est le cas pour Alfajiri, par exemple, une entreprise canadienne à direction congolaise. Créée le 10 janvier 2022, seulement quelques semaines après que le gouvernement ait annoncé son intention de mettre aux enchères des blocs pétroliers, celleci n’a donc pas pu fournir les états financiers pour les trois dernières années dans son offre, tel que la loi l’exige", ont soutenu ces organisations. Alors que de Winds exploration and production, une jeune entreprise américaine fondée en 2018 et qui exploite actuellement une trentaine de puits gaziers aux États-Unis, ces ONG ont noté que celle-ci prévoit investir 500 millions de dollars dans le bloc Idjwi, malgré un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de dollars US d’après de nombreux sites d'analyses économiques. De plus, ont-elles poursuivi, au moment de la signature du CPP avec l’entreprise, l'État du Texas avait révoqué le certificat d’organisation de l’entreprise pour non-paiement présumé de la taxe de franchise, la rendant légalement inactive et incapable de mener des activités commerciales dans l’Etat où elle est basée. De l'entreprise américaine Symbion Power qui serait en pourparlers pour obtenir le troisième bloc gazier, la Société civile citant ses sources au sein du Ministère des Hydrocarbures, a révélé que celle-ci exigerait un contrat de concession, en violation de la législation congolaise.
Les organisations signataires ont également dénoncé l'octroi des Contrats de Partage de Production (CPP) gaziers sans aucune consultation préalable des communautés environnantes, en violation de l'article 9 de la loi sur les principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement. 

Risque d'accusations futures de corruption et de favoritisme

Dans leur réaction, ces ONG ont indiqué qu'avec l’annulation de l’appel d'offres sur les blocs pétroliers, le ministre a simultanément annoncé qu’un nouveau processus sera lancé prochainement. Cette fois-ci, via le biais d’un appel d’offres restreint. Cette annonce suscite de vives préoccupations au sein de la Société civile. Cette approche accroîtrait, selon elle, le risque d'accusations futures de corruption et de favoritisme. "Nos inquiétudes sont d'autant plus grandes à la lumière des récentes révélations impliquant le ministère des Hydrocarbures congolais, qui aurait promis ce processus restreint pour certains blocs à l'entreprise ClayHall Group DMCC, en échange du financement d'une étude d'évaluation des bassins sédimentaires du pays", a alerté la Société civile.
Aussi, la Société civile se montre inquiète du fait que dans le cadre de la construction de l'oléoduc EACOP (East African Crude Oil Pipeline), mené par TotalEnergies, CNOOC, ainsi que les gouvernements ougandais et tanzanien, le gouvernement congolais a exprimé son souhait de s’y raccorder. Ce pipeline de 1443 km vise à transporter le pétrole extrait, y compris au sein du parc national des Murchison Falls, à partir des rives du lac Albert en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie.
Mais, pour la Société civile, ce projet soulève de vives préoccupations en raison de ses impacts, tels que le déplacement de plus de 100 mille personnes et la menace directe sur de nombreux écosystèmes fragiles et transfrontaliers avec la RDC. Le raccordement souhaité par les autorités congolaises, fustige-t-elle, présente également un risque important pour les dizaines de milliers de personnes vivant directement ou indirectement des ressources du lac Albert, notamment en raison des dangers de pollution liés à l'exploitation pétrolière. "Des organisations alertent également sur le fait qu’une exploitation des hydrocarbures pourrait exacerber les conflits armés déjà présents dans ces régions", a-t-elle prévenu.

Une jurisprudence qui enseigne

Citant l’expérience de l’exploitation pétrolière à Muanda, les ONG ont relevé que celle-ci n’apporte aucun développement économique à la région ni au pays, mais provoque plutôt de graves dégradation de l'environnement des communautés locales et une pollution importante de la zone. "Plutôt que de se concentrer sur une industrie fossile en phase de déclin, le gouvernement congolais et ses partenaires devraient se concentrer sur le renforcement de l'économie du pays à travers un développement durable, apportant des résultats concrets et tangibles au peuple congolais", ont conseillé ces organisations. Pour ces dernières, il est possible de construire une économie régénératrice fondée sur des modèles alternatifs de développement, qui sont respectueuses des droits des communautés, de l’environnement et de la biodiversité, et pourvoyeuses d'emplois locaux. "Les projets d'électrification et de développement local de l’Alliance Virunga dans la province du Nord-Kivu peuvent servir d’exemple. Une telle démarche permettrait à la RDC de jouer pleinement son rôle en tant que "Pays Solution" dans la lutte contre le changement climatique, au lieu de le renforcer", ont insisté ces organisations.

Lucien Dianzenza
Légendes et crédits photo : 
1.Patient Muamba, consultant expert en matière d’exploitation des hydrocarbures, ⁠Laurette Kabedi, chef de projet des menaces des industries extractives et ⁠Emmanuel Musuyu, secrétaire Technique de la CORAP 2. Photo de famille des représentants des ONG signataires
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