Romancier de l’identité, Henri Lopes prend très tôt, comme la plupart des écrivains congolais, ses distances avec la Négritude. Une distance qui se manifeste sous la forme d’un discours argumenté lors du festival panafricain d’Alger dont il est le porte-parole de la délégation congolaise.
Patrie adoptive de Fanon, l’Algérie est à l’époque l’avant-poste de progrès de la décolonisation. Voilà pourquoi les discours d’Henri Lopes et de Stanislas Adotevi sont les plus incisifs. L’un et l’autre représentent deux pays dits « progressistes ». A la différence du discours iconoclaste d’Adotevi, qui deviendra son essai-manifeste, Négritude et Négrologues ; celui d’Henri Lopes est pondéré. Même s’il entend regarder au-delà de la race, son propos est moins idéologique qu’esthétique. Il tourne le dos à la Négritude, inaugure l’ère des littératures nationales. Du point de vue politique, il opère une alchimie entre le pouvoir, qui se prétend marxiste et la délégation des écrivains congolais à Alger. Là s’arrête cette complicité. Les écrivains se gardent d’adopter le réalisme socialiste. Ils revendiquent la liberté du créateur, tissent une solidarité intergénérationnelle et une complicité, que Sylvain Mbemba qualifiera de phratrie. Phratrie dans laquelle Henri Lopes jouera un rôle essentiel en qualité de préfacier et protecteur des artistes. Sur le plan de l’écriture, Henri Lopès revendique avec Tribaliques l’avènement du sujet congolais. Il instruit alors le procès des pesanteurs sociales, politiques et culturelles (arrivisme, tribalisme, misogynie, etc.°), qui freinent l’affirmation du sujet. Projet qui trouve son aboutissement dans Le Pleurer-Rire. Cette période se traduit du point de vue de l’esthétique du roman par une volonté d’écrire congolais en français et par un goût prononcé de l’humour. L’enjeu ? Apporter « un primitivisme entendu au sens où Gauguin et le fauvisme le sont dans le domaine de la peinture » pour renouveler l’imaginaire littéraire congolais. Il s’agit là d’une phase, qui parachève l’ère de la littérature nationale, même si cette notion est souvent ambiguë. La généalogie d’un écrivain étant toujours improbable.
Au fond, Henri Lopes est davantage le frère d’Aragon que de Tati-Loutard. Il descend davantage de Diderot, Jorge Amado, que de Jean Malonga et Sylvain Mbemba. Toute l’œuvre d’Henri Lopes est saturée de références littéraires. Une sorte d’entretien infini avec ses frères de plumes. On croise dans ses récits des personnages, qui lisent, citent, écrivent. Dans un espace social où le groupe étouffe insidieusement l’individu, la littérature apparaît aux yeux des personnages de Lopes comme une prière laïque pour conjurer l’aliénation. Et le fait que la plupart de ses récits soient menés à la première personne témoigne d’un désir d’autonomie. Un désir qui s’affirme dans ses romans dédiés au métissage. On le voit dans Le chercheur d’Afriques construit à l’aide de deux quêtes qui se chevauchent : celle dans l’espace d’André Leclerc en butte au métissage et celle du colonisé dans le temps à la recherche des Afriques perdues. On le voit à travers le jeu d’hétéronymes et de réécriture d’une biographie de la biographie dans Le Lys et le flamboyant.
Bref, une variation autour de l’identité.