Le premier président de la Cour suprême, Henri Bouka, a, au cours d’une interview accordée à la presse, évoqué les questions liées au fonctionnement de la justice congolaise avec un accent particulier sur la plus haute juridiction nationale. Il est également revenu sur les différentes interpellations du président de la République ainsi que les attentes de la population.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Comment se porte la Cour suprême au moment où nous parlons ?
Henri Bouka (H B) : La Cour suprême, notre plus haute juridiction nationale, est une juridiction de cassation, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un troisième degré de juridiction. Elle est juge de la légalité et contrôle, à ce titre, la légalité des décisions en dernier ressort rendues par les cours d’appel et exceptionnellement par les juridictions d’instance lorsque celles-ci ont rendu des jugements en premier et dernier ressort ; en ces cas, ces jugements peuvent être attaqués par la voie du pourvoi en cassation ; ainsi, ils sont directement portés devant la Cour suprême, sans passer par la Cour d’appel. Pour l’accomplissement de cette mission de contrôle de la légalité, nous pouvons dire que la Cour est dans son univers légal et qu’elle se porte bien.
LDB : Lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire de la Cour suprême en janvier dernier, le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, déclarait : « La justice n’est ni un slogan, ni une vue de l’esprit. Elle est plutôt un besoin réel dont la satisfaction se mesure à partir de ce qu’en disent la cité et les parties impliquées. Une justice libre, indépendante, juste et équitable, rendue par des magistrats à tous égards, dignes de confiance, demeure une quête permanente qui privilégie uniquement le triomphe de la règle de droit ».
LDB : Etes-vous satisfait de la manière dont la justice est distribuée au Congo ?
H.B : Nous avons fait beaucoup de progrès au plan de ce que nous pouvons considérer comme les valeurs morales et éthiques que tout juge doit s’approprier, respecter et observer lorsqu’il s’agit de rendre la justice. Mais la justice demeure une œuvre humaine ; en tant qu’œuvre humaine, nous ne pouvons pas dire qu’elle est totalement parfaite, à tous égards ; c’est pour cela que le législateur lui-même a prévu des voies de recours de sorte que là, se trouve notre consolation. En effet, la consolation des Congolaises et des Congolais, c’est que le système judiciaire congolais comporte deux degrés de juridictions et une juridiction de contrôle.
Si, au premier niveau, celui des juridictions d’instance, une affaire a pu être mal jugée et que les parties n’ont pas été satisfaites de la décision rendue, elles ont la faculté de porter l’affaire devant des magistrats plus anciens, plus expérimentés, qui ont la présomption de connaître un peu plus ; ces juges, ce sont les juges d’appel qui, à nouveau, examinent l’affaire, en fait et en droit. Et si à ce niveau-là, les parties continuent à ne pas être satisfaites, elles peuvent, si tel est leur intérêt, porter l’affaire devant la juridiction suprême, la Cour suprême, qui statue en droit seulement, donc qui contrôle la légalité, qui contrôle si la loi appliquée aux faits, tels que souverainement fixés par les juges du fond, était la bonne loi et si cette loi a été bien appliquée. On peut en conclure que le mécanisme judiciaire congolais est tel que nous ne sommes pas effrayés par les décisions que rendent les juges. Ce que nous demandons et recommandons aux juges du fond que sont les juges d’instance et d’appel, c’est qu’ils s’expriment assez rapidement, c’est-à-dire, qu’ils prononcent leurs décisions dans des délais que nous appelons, dans notre jargon judiciaire, des délais raisonnables, compris entre 8 à 10 mois, voire 8 à 12 mois. Mais on ne devrait pas attendre plus de 15 mois, plus de 18 mois pour que les juges se prononcent et disent le droit entre les parties. A ce propos, nous pouvons dire que nous avançons, à tous points de vue, vers les objectifs fixés d’une justice qui rassure et sécurise. Ces objectifs seront atteints. C’est notre quête permanente.
LDB : Prenons un cas précis, celui de M. Aimé Hydevert Mouagni, un cas qui suscite beaucoup d’interrogations dans l’opinion congolaise. Après une interpellation et un interrogatoire, le 23 mars 2024, à la Centrale d’intelligence et de documentation (CID), monsieur Mouagni a été déféré à la maison d’arrêt de Brazzaville le 5 avril. Il serait évacué en Turquie pour des raisons sanitaires. Alors, Monsieur le premier président, présentement, se trouve-t-il encore en Turquie ? Est-il en cavale ? Est-ce qu’il est déjà rentré au pays ?
H.B : Ah !! Pour le cas Mouagni sur lequel je ne souhaitais pas m’exprimer, je vais vous dire la chose suivante, sans langue de bois. Lorsqu’une personne malade faisant l’objet de poursuites en justice et détenue à la maison d’arrêt tombe malade, lorsqu’elle est évacuée dans un pays où il peut avoir de meilleurs soins pour sa santé et qu’elle choisit de se mettre en cavale, le langage commun l’appelle « évadé ». Quand on devient évadé, on commet une infraction, une nouvelle infraction pour laquelle on peut être poursuivi et puni, aux termes de l’article 245 du code pénal, d’une peine pouvant aller de six (6) mois à un (1) an d’emprisonnement, pour le simple fait de s’être évadé.
Veuillez aussi noter que les grands hommes ne s’évadent point. Ils s’expliquent devant la justice de leur pays. En remontant le temps, c’est-à-dire en scrutant l’histoire très ancienne ou récente, on peut citer le cas de Socrate dans la Grèce antique, de Cicéron dans la Rome antique. On peut aussi citer les cas de Gandhi, de Nehru, de Nelson Mandela, de Louis Napoléon Bonaparte, de Martin Luther King qui ont comparu devant la justice de leurs pays quoique Socrate ait choisi une voie plus radicale ; mais il ne s’était pas enfui. Les grands hommes, retenons-le, ne s’évadent point. Plus récemment encore, on peut citer le cas de Ousmane Sonko au Sénégal, de Lula Da Silva au Brésil…La leçon qu’on en tire c’est que les grands hommes ne se s’évadent point ; ils s’expliquent devant la justice de leur pays.
Une personne qui s’est évadée, même aux temps anciens de l’Afrique précoloniale, est considérée comme une personne qui n’a plus aucun droit. Cela dit, il nous faut savoir que la Constitution congolaise fait obligation à l’Etat du Congo de garantir la santé à tout citoyen, qu’il soit libre ou détenu. Si nous avons un détenu qui tombe malade, qui ne peut pas avoir des soins adéquats ici, qu’on a évacué dans un autre pays et qui a choisi de se mettre en cavale, on ne devrait pas surfer abondamment sur son cas.
Cependant, il peut être de bon aloi de savoir qu’un inculpé qui s’est évadé, s’il est renvoyé devant la formation de jugement, eh bien, il sera jugé, même en son absence. Cela doit être clair dans l’entendement et la conscience de chacun sauf à préciser que jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés, il bénéficie toujours de la présomption d’innocence.
LDB : Monsieur le premier président, il y a toujours une question liée aux Koulounas dits bébés noirs, ces bandits qui écument nos cités. Ils sont souvent interpellés et détenus dans les services de police et de gendarmerie. Et nous apprenons qu’ils sont massivement gardés dans des lieux étouffants et peu recommandables. Et ce, parfois, pour une durée indéterminée. Que pense votre juridiction de cette situation ?
H.B : Nous avons le devoir, lorsque des personnes sont placées en état de détention, de leur garantir un traitement humain. C’est ce que nous essayons de faire avec les moyens qui sont les nôtres. Mais en même temps, nous ne pouvons, sous quelque prétexte que ce soit, lâcher dans les rues de Brazzaville une horde de délinquants qui pillent, qui tuent et violent. Aujourd’hui, des lieux ont été aménagés, humainement aménagés, pour accueillir, en les traitant de manière également humaine, certains de nos compatriotes qui ont pu se comporter en violation des lois de la République. La justice s’organise en ce moment pour que, très rapidement, toutes ces personnes soient jugées. Monsieur le ministre de la Justice, présentement, travaille avec l’ensemble des magistrats pour regarder, au cas par cas, toutes ces questions ; il n’y a donc pas de traitements inhumains dans les lieux de détention. Nous avons quelques pléthores que nous regrettons et auxquelles nous travaillons à trouver les solutions qui conviennent, en adéquation avec les lois de la République, l’objectif étant de déflater, pour désencombrer nos lieux de détention. Les plus hautes autorités du pays en ont été informées et des instructions ont été données ; mais on ne construit pas une maison d’arrêt ayant une capacité d’accueil de 500 personnes en une journée. L’Etat congolais y travaille. Dans un avenir très proche, on pourra assurer une détention encore plus humaine à nos compatriotes qui ont pu se mettre en travers des lois de la République. Mais ce sont des délinquants, des délinquants qui menacent la sérénité, la paix publique, la tranquillité publique. Ils sont gardés dans des conditions humainement acceptables. Cependant, il ne faut pas demander, lorsqu’on est détenu, qu’on vous donne du caviar à manger chaque matin.
LDB : Les détournements des fonds publics sont devenus une mode, et même un phénomène dans notre société. D’abord, les services de police le démontrent à tout moment, à travers les interpellations, et nous-mêmes, la presse, nous suivons de près ces dossiers. Pourquoi les parquets de Brazzaville et Pointe-Noire ne se saisissent-ils pas de ces présumés cas de détournements des fonds publics, surtout lorsque les suspects sont interpellés par la CID (Centrale d’intelligence et de documentation) ? Il semble que la CID a plus de travail que la justice.
H.B : C’est le délire, le délire dogmatique, qui fait répandre l’opinion qu’il y a, dans tous les bureaux, des prédateurs qui détournent les fonds, qu’il faut poursuivre et jeter en prison ! C’est dangereux pour notre pays comme pour toute autre Nation de penser ainsi, car cela n’est toujours pas l’expression de la vérité, du moins, ici au Congo. La justice pénale a une mission très importante à cet égard, mais on n’y prête pas attention ; c’est sa mission de dissuasion qui peut être symbolisée par l’épée de Damoclès suspendue sur la tête de tout le monde et prête à fendre à tout moment sur qui contrevient aux lois de la République.
Je voulais en réalité dire que les cas de détournements, à ma connaissance, ne courent pas les rues, comme le dit le citoyen lambda. Par contre, ceux qui ont été pris dans les mailles du filet, à Brazzaville comme à Pointe-Noire, les poursuites à leur encontre ont été engagées et les procédures sont en cours. Toujours à ce propos, retenons que la loi congolaise ne permet pas que les magistrats rendent tous les jours compte des actes qu’ils accomplissent dans les cabinets d’instruction ou devant les formations de jugement, parce qu’à ces stades, les personnes suspectées sont certes poursuivies, mais elles bénéficient toujours de la présomption d’innocence. Il ne faut pas non plus, avant le jugement, les présenter comme des prédateurs, alors qu’à la fin de l’instruction, ou à la fin de la procédure de jugement, elles peuvent être déclarées non coupables. En matière de délinquance économique et financière ou de criminalité en col blanc, sachez que nous avons, à Pointe-Noire comme à Brazzaville, des procédures en cours.
Des poursuites ont donc lieu et l’impunité n’est acquise à l’égard de personne. Ceci nous autorise à dire qu’il est faux de penser qu’on interpelle des délinquants et que la justice ne fait rien. Au contraire, nous travaillons à approfondir les enquêtes en écoutant les personnes mises en cause, en faisant les recoupements nécessaires pour établir qu’effectivement, la personne suspectée, inculpée, désignée comme ayant commis des faits contre les lois de la République les a véritablement commis. Il faut un peu de temps pour cela.
Les juges doivent travailler dans la sérénité et non dans la précipitation. Mais lorsque l’instruction est terminée, en matière de justice économique comme en toutes autres matières, les personnes inculpées sont renvoyées devant les formations de jugement ; même à ce stade, elles continuent à bénéficier de la présomption d’innocence.
Tant qu’on n’est pas devant la justice, on ne sait pas ce que c’est que la présomption d’innocence. Mais quand on y est, quand on s’y trouve, on se dit « oui, il faut qu’on me traite avec considération parce que je suis une personne humaine. Notre justice est une justice à visage humain, j’ai droit à une justice impartiale, juste, adéquate ». Par contre, le problème sur lequel nous devrions revenir tout le temps, c’est celui des délais. Je dois, à ce propos, reconnaître que, parfois, nous n’allons pas très vite ; cela est parfois dû à la complexité des affaires ; mais nous travaillons à corriger ces inadéquations ou faiblesses ; de ce point de vue, la justice est en train de redorer, comme il convient, son blason.
LDB : Dans les cas d’une clameur publique, on a l’impression que tout de suite, c’est la CID qui s’empare du dossier et la justice est quasiment absente. Est-ce que c’est ça la démarche légale ou bien la justice peut-elle s’autosaisir quand il y a clameur publique ?
H.B : La Centrale d’intelligence et de documentation (CID), la police judiciaire et la gendarmerie constituent le bras d’action des magistrats des parquets. Ce sont des fonctionnaires qui travaillent avec eux, sous leur direction. Lorsque se produit un fait de nature infractionnelle, le fonctionnaire le plus proche du lieu où les faits se sont produits, généralement, c’est le gendarme, c’est le policier, qui, tout de suite, se saisit de l’affaire. Il a un pouvoir de saisine d’office. Il se saisit de l’affaire et rend compte au procureur de la République qui le charge généralement de poursuivre l’enquête. Et lorsqu’il a terminé son enquête, il transmet le dossier au procureur de la République. Les magistrats des parquets et les policiers ou gendarmes, ou encore la CID ne se disputent donc pas la connaissance des dossiers. Les dossiers commencent généralement à la police et se terminent devant les magistrats. Parfois, lorsque des plaintes sont directement déposées auprès du procureur de la République, ce dernier peut choisir, c’est son droit, de les retourner à la police avec les instructions précises de mener l’enquête et de lui rendre compte. C’est comme cela que ça fonctionne.
LDB : Que pensez-vous de la lutte contre la corruption ?
H.B : Il faut se garder de présenter le pays comme une nation de corrompus, même s’ils existent quelques égarés qui brillent par des actes hors normes. Au niveau de la justice, il y a environ un an, nous avons révoqué plus de dix magistrats pour divers motifs. Certains ont été révoqués pour manquement à l’éthique et à la morale professionnelle. Est-ce pour autant que l’on peut dire que toute la nation est corrompue ? Je ne m’inscris pas dans cette manière de voir les choses.
Pour revenir à votre question, je peux vous répondre que toutes les fois que sont dénoncés, dans les formes qui conviennent, des faits pouvant comporter qualification d’atteinte à la probité, les cours et tribunaux instruisent et jugent. Mais ne faisons pas écho à tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux, parfois sans discernement. En vérité, lorsque nous sommes informés des cas d’atteinte à la probité commis par des magistrats, généralement, nous déclenchons immédiatement les procédures disciplinaires, sans préjudice des procédures pénales qui vont suivre.
C’est donc pour le premier président l’occasion de dire que si un magistrat, pour accomplir un acte de sa fonction, a demandé à quelqu’un de lui tendre la main, eh bien, que cette personne vienne s’en plaindre auprès du premier président de la Cour suprême, qui est le président de la commission de discipline des magistrats, ou auprès du ministre de la justice, ou de tout autre magistrat. Mais je ne vous encourage pas à soutenir ceux-là qui veulent présenter la Nation comme une Nation dans laquelle sévissent des actes de prédation. Quand nous jugeons à la Cour suprême, dans chaque affaire, quand nous délibérons, il n’y a pas moyen de ne pas rendre une bonne justice. Donc on peut continuer à faire confiance à notre système de justice, pourvu, bien entendu, que les jugements soient rendus dans des délais qui permettent aux parties de faire les contestations qu’elles jugent utiles de faire et que la Cour d’appel, saisie par la voie de l’appel, se prononce elle aussi vite pour que nous, au niveau de la Cour suprême, nous examinions le recours formé afin de rejeter ou de casser la décision attaquée dans les mêmes délais de célérité ; c’est de cette manière que fonctionne un bon système qui permet de rattraper, de corriger les erreurs, les faiblesses et les manquements déplorés par les plaideurs.
Le premier président souhaite également saisir l’occasion que lui offre cette interview pour dire qu’il est faux de prétendre que celui qui travaille vite, travaille mal ; c’est faux ; mais le président du Conseil a proscrit la précipitation. Nous en convenons, strictement. Mais on peut travailler vite et le faire bien. C’est ce que nous attendons des magistrats.
LDB : Abordons à présent le volet lié à la réforme des instruments juridiques dont vous vous servez au quotidien, dans votre office. Je citerai par exemple le code de procédure civile, le code civil, le code de la famille, et j’en passe. Lors d’un entretien, vous nous aviez dit que vous étiez favorable à une réforme ciblée, plutôt qu’à une réforme totale de tous ces textes-là. Où est-ce que vous en êtes ?
H.B : Oui, il faut réformer. Toutes les Nations du monde travaillent à corriger l’existant, à l’améliorer, pour mieux avancer. Les lois ne sont point immuables. Lorsqu’une loi a été édictée, votée, et qu’elle est entrée en application, on devrait, au bout d’un certain temps, en faire l’évaluation, s’interroger sur le point de savoir si on la maintient en l’état, si on l’abroge ou si on la corrige pour l’adapter au contexte et aux exigences de développement du pays, à tous points de vue. « Un Etat qui ne réforme pas n’a pas d’avenir ».
Au niveau de la justice, le code de procédure civile date de 1983. Nous sommes en 2024. C’est donc une vieille loi. On devrait la revisiter, en faire le bilan, voir ce que l’on doit consolider, ce que l’on doit abandonner et ce qui doit être amendé pour mieux avancer. Des dispositions nouvelles peuvent également être édictées, quand cela s’impose.
Le code de procédure pénale est une loi de 1963. Nous devons revisiter tous ces textes, à savoir le code pénal, le code de la famille ; le plus efficace à faire, ce serait de faire des réformes ciblées. Notre mission, en tant que juges sur le terrain, c’est d’indiquer aux gouvernants les faiblesses que nous constatons. Il leur appartient de faire examiner nos propositions par leurs services techniques, au sein de leurs cabinets, afin que celles-ci soient transformées en projets de lois et envoyés devant le Parlement.
LDB : Président, vous avez l’expérience de votre domaine, vous êtes un nom. Vous connaissez bien la justice congolaise. Alors, quel est votre rêve pour notre justice ?
H.B : Je ne m’attendais pas, je vous l’avoue, à pareille question ! Mon rêve, oui, si j’en avais un, ce serait celui de voir notre système de justice, dans cette nation jeune, devenir de plus en plus performant. La performance est à travers le jugement rapide, à travers l’exercice par les parties des voies de recours, à travers le jugement rapide par les juridictions d’appel et, en cas de pourvoi, à travers le jugement tout aussi rapide, adéquat et pertinent par la Cour suprême.
Autre souhait, autre rêve, c’est de faire aboutir la réforme du casier judiciaire. Le président du Conseil supérieur de la magistrature lui-même a affecté des magistrats spécialement à la tâche. Ce travail se fait. Nous pensons qu’il faut simplifier les pièces d’exécution. Le casier judiciaire aujourd’hui est adossé sur les tribunaux de grande instance du lieu de naissance de la personne condamnée. Si une personne qui est née à Pointe-Noire est condamnée par le tribunal de grande instance de Ouesso, l’extrait du casier judiciaire va repartir à Pointe-Noire ; celle qui est née à Kéllé, dans la Cuvette-Ouest, condamnée par le tribunal de grande instance de Brazzaville, l’extrait va repartir à Ewo. C’est trop compliqué. On peut simplifier et décider que tous les casiers judiciaires de tous les condamnés vont alimenter une base qui sera située dans telle localité, de sorte que pour toutes les condamnations qui ont été prononcées par Brazzaville, Owando, Ouesso, Madingou, Kinkala, Dolisie, tous les casiers judiciaires, dans tous ces cas, soient conservés en un seul endroit et c’est à ce service qu’on va demander, en cas de besoin, l’extrait du casier judiciaire. Il suffit simplement de changer en deux mots la rédaction de la loi.
Nous avons aussi ce que nous appelons les pièces d’exécution qui nous permettent de recouvrer les amendes, les frais de justice. Là aussi, il y a une réforme à mener pour simplifier ces pièces et faire en sorte que le recouvrement des amendes soit effectif. Ce sont-là nos paris, ce sont-là, nos défis, ce sont-là, nos challenges ; nous travaillons à les faire aboutir.
LDB : Le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, parlant des faiblesses de la justice, avait indiqué que le « ver était dans le fruit ». A ce jour, M. le premier président de la Cour suprême, peut-on dire que le ver demeure dans le fruit, toujours, ou le ver est déjà extirpé du fruit ?
H.B : Nous travaillons à rendre le fruit comestible. C’est notre travail de tous les jours, de tous les instants. A ce propos, nous avons très bien écouté le président du Conseil. Les directives et orientations qu’il a données sont des directives et orientations permanentes ; nous travaillons à faire que l’on puisse manger le fruit sans inquiétude. Cela dit, à l’instar de toutes les jeunes Nations, notre système de justice a besoin d’être soutenu. Il n’a pas besoin d’être décrié et fragilisé. Soutenons-le. C’est ce que nous vous demandons et tous les jours, nous travaillons pour mériter le soutien de nos populations. De quelle manière le faisons-nous ?
Eh bien, nous le faisons en indiquant aux jeunes magistrats des juridictions d’instance et d’appel, sans nous exclure, nous-mêmes, juges de cassation, de cette rigueur, la voie à suivre, à partir des directives précises que nous donne tout le temps, le président du Conseil lui-même.
Le président du Conseil a parlé en 2021, en 2022, en 2024 et bien avant ; il a toujours parlé, toutes les fois que cela s’était avéré nécessaire ; dans ses diverses allocutions ou dans ses messages sur l’état de la Nation, il a clairement, et avec insistance, balisé la voie que doivent suivre les magistrats, au plan moral, au plan éthique, au plan de leur engagement à travailler avec abnégation, pour qu’il y ait, dans notre pays, une justice véritablement prévisible. La justice prévisible a droit de cité au Congo, notre pays. Elle est déjà là. Elle n’est pas à advenir, puisqu’elle est là. C’est l’une des missions sacrées de notre juridiction de cassation, de veiller à ce que toutes les décisions rendues soient des décisions pertinentes, rendues en adéquation avec les lois applicables à chaque cas d’espèce portés devant les cours et tribunaux. Je lance vivement cet appel à croire en notre système judiciaire qui est un bon système. Le reste c’est une question de faiblesse des hommes. Mais nous travaillons à corriger les faiblesses déplorées. Nous corrigeons pour avancer de manière plus tonique et plus rassurante. Que chaque magistrat qui m’a écouté mette la main à la pâte.