À côté des épaves de véhicules qui jonchent et obstruent les avenues et rues de la capitale congolaise, comme probablement dans d’autres villes du pays, on constate une occupation, souvent anarchique, de la voie publique
De Makélékélé à Djiri, en passant par les autres arrondissements de Brazzaville, le constat est identique et inquiétant. Les rues et les avenues sont obstruées soit pour l’organisation des veillées mortuaires, les cultes de dimanche, les mariages coutumiers ou les réunions diverses. Un chapelet d’activités auquel il faut ajouter la pratique du sport par des jeunes, faute d’espaces.
Le 25 avril 2014 par exemple, une dispute a failli dégénérer, rue Bénin, dans le 6e arrondissement, Talangaï. Motif : une famille endeuillée venait de bloquer la rue en y déposant un tronc d’arbre. Klaxons, insultes et cris divers ont rapidement attiré la foule. Nazaire, un témoin, raconte : « Il était à peine 16 heures quand des membres de cette famille ont commencé à s’affairer pour placer un morceau de bois en travers de la rue, oubliant que sur au moins un kilomètre, seule la rue Bénin permet aux véhicules de partir de l’avenue de la Tsiémé à Marien-Ngouabi. » Réplique d’un membre de cette famille : « Nous avons l’autorisation de la mairie de Talangaï et c’est à juste titre et en toute légalité que nous avons agi. » Mais on peut lire sur la note affichée, et signée du secrétaire général : « La famille… est autorisée à occuper la devanture de la parcelle N°… du 25 avril au 10 mai. »
Comment interpréter cette phrase et comment la traduire dans les faits quand les horaires d’occupation de la « devanture » de la parcelle ne sont pas indiqués ? Faute de recours, les automobilistes ont dû se résigner et céder.
« Pour éviter les problèmes, il faut seulement contourner l’obstacle, en empruntant un autre passage ou en garant son véhicule, avant de franchir le lieu des veillées, surtout lorsque vous avez affaire à des gens peu instruits », déclare Dominique, 36 ans. Forcer le passage est synonyme de méchanceté pour les riverains. « On peut même vous taxer de sorcier et les jeunes du quartier, souvent en colère lorsque c’est un des leurs qui est mort, peuvent parfois vous brutaliser », ajoute Nadine, étudiante, 23 ans.
L’exiguïté des parcelles pourrait expliquer ces débordements
À Brazzaville en effet, les parcelles mesurent 20 m/20. Or la solidarité africaine veut que le malheur des uns soit partagé par les autres à travers un soutien moral, matériel et financier. En clair, il n’est pas rare que des voisins cèdent leurs habitations ou meubles. C’est ce qui explique l’affluence sur les lieux des veillées, que ne peut contenir une parcelle de 400 mètres carrés. Brice, habitant du 2e arrondissement, Bacongo, va plus loin dans son constat : « Certaines familles déploient même des tentes et des chapiteaux dans la rue. Et ceci, tout le temps que dure l’événement. Imaginez la suite ! »
En dehors des veillées, de plus en plus d’églises cèdent à cette pratique d’occupation de la voie publique. Si l’on peut passer sur les raisons de ce comportement et le préjudice qu’il cause aux autres citoyens, il est permis de se demander si ces églises ont obtenu les autorisations de la mairie pour agir ainsi. Si oui, pour combien de dimanches la mairie leur a-t-elle signé l’autorisation ? D’autant plus que dans la pratique, c’est désormais chaque dimanche que certaines rues ou avenues sont bloquées par des « fidèles » n’ayant pu avoir accès à l’enceinte de l’église.
« Les gens abusent de plus en plus avec les autorisations délivrées par les mairies qui, en retour, n’ont pas toujours les moyens ou la volonté de contrôler l’application de ces textes par les citoyens », constate Simplice, ajoutant : « Il faut que les choses soient recadrées avant qu’il ne soit trop tard. Le Congolais n’a pas le sens de la discipline, il profite des faiblesses des pouvoirs publics pour laisser libre cours à sa liberté. » D’autres personnes interrogées soutiennent cet argument en s’appuyant sur le manque de scrupules de certains citoyens, y compris des responsables censés donner le bon exemple.
Brazzaville n’est pas la seule ville du Congo à connaître ce type de débordements. Avec la modernisation de certaines localités du pays, de nombreuses villes vivent les mêmes problèmes et les pouvoirs publics, ici et là, sont appelés à faire preuve de rigueur et de pédagogie pour faire régner l’autorité de l’État.
« Partout, nos autorités peinent à faire appliquer la loi. Le problème, c’est qu’elles ne communiquent pas assez et ces textes ne sont pas connus. Pour y arriver, elles feraient mieux d’engager un débat citoyen avec les populations afin de les sensibiliser et obtenir leur adhésion », suggère un acteur de la société civile.
Après la guerre engagée contre tous ceux qui occupent anarchiquement le domaine public, l’opération de déguerpissement lancée par la mairie de Brazzaville dernièrement et la toute dernière par la police, baptisée « Longwa na nzela », tous les conditions sont réunies pour que les autorités municipales prennent également en charge le phénomène de « blocage » des rues et avenues. Au moins, pour faire respecter les textes en vigueur.