D'aucuns font l'erreur de cantonner la drépanocytose dans le fait simple d'un désordre biologique résultant d'une mutation génétique impliquant des conséquences typiquement cliniques. En réalité, la drépanocytose va bien plus loin que la sphère clinique, elle est responsable du chaos multifacette d'une vie et de l'usurpation d'une identité.
Le corps médical a la fâcheuse tendance de s'approprier la drépanocytose, comme si elle n'existait que dans ses livres. Elle est pourtant un problème de santé publique et devrait attirer l'attention du public ainsi que de toutes les autorités et compétences publiques. Nous avons, quant à nous, le malheur de la savoir exister dans nos gènes, dans notre histoire, et en cela nous pourrions en parler des heures. Le discours de la drépanocytose ne saurait être purement médical, il nécessite la version tant de ceux qui en souffrent, que des Simon de Cyrène qui accompagnent les victimes de cette maladie dans leur chemin de croix quotidien et aussi de tous les acteurs associatifs, les travailleurs sociaux, les psychologues, les thérapeutes, les coachs de vie et autres aidants qui ont été plus d'une fois exposés et confrontés à la souffrance drépanocytaire.
La douleur tant physique que psychologique, sociale, dans la drépanocytose, est énorme, complexe et quasiment perpétuelle. Elle prend en otage une vie et la déforme, la sort des rails du chemin auquel elle pourrait aspirer, l'asphyxie, l'étouffe, l'éteint. Le travail de la guérison ne saurait être unisens et ses fruits tant individuels que collectifs ne pourraient être unidirectionnels.
Nous avons vécu la drépanocytose dans notre chair, notre sang en porte la tare et notre visage, notre corps en reflètent les stigmates. Nous avons connu l'enfer de la douleur articulaire, mais encore, ce n'était pas le pire.
Il est très réducteur de penser qu'un cocktail de médicaments suffirait à effacer le traumatisme d'avoir été et d'être drépanocytaire. Il est la drépanocytose, au bout de quelques décennies, on en sort généralement défait, angoissé, humilié, frustré ou au contraire on porte en soi une colère et une révolte qu'aucun médicament ne pourrait contenir.
La drépanocytose a volé notre identité. Elle nous a empêché de savoir tôt qui l'on était et ce que l'on valait. Elle nous a livrés sans répit et sans état d'âme à la mort.
La drépanocytose est un traumatisme de l'enfance car elle offre le lit à plusieurs abus, plusieurs traumatismes : le rejet parental, familial, l'exclusion sociale, le harcèlement scolaire, la stigmatisation, la violence verbale, les menaces et agressions physiques.
La drépanocytose est un traumatisme de l'âge adulte parce qu'elle complique l'entrée en relation, elle constitue une entrave à l'amour sain et aux relations avec le sexe opposé. Elle mine le rapport au corps, à l'image et à la séduction, elle fragilise l'estime et la confiance en soi.
En faisant un plaidoyer public sur la drépanocytose, nous ne mettons jamais en avant un médicament ou une méthode de guérison particulière, nous mettons en avant Dieu et la foi sans laquelle, dans cette maladie, il est impossible de survivre.
Avoir souffert de la drépanocytose dans son enfance et d'en avoir gardé les séquelles une fois adulte, c'est avoir la pleine conscience que nous avons vu le diable sous plusieurs facettes et que nous avons lutté contre lui chaque jour, du matin au soir, et chaque nuit, du soir au matin.
La souffrance drépanocytaire est tellement grande que vous pensez que la vie s'en voit ainsi résumée : souffrir. La vie se confond avec la souffrance, les rêves et les projets avec le besoin de revendiquer sa lumière, son droit d'exister, plus de justice et d'équité.
En fin de compte, une maladie comme la drépanocytose vous entraîne, sans demander votre avis, dans un champ de bataille, une arène, de laquelle il n'est possible de sortir que de deux manières : soit c'est elle qui vous bat, soit c'est vous qui la battez, en corps, âme et esprit.