C’est l’un des chemins les plus féconds vers l’emploi depuis que l’État a libéralisé le secteur et les professions connexes. Mais, malgré l’existence de lois et textes appropriés pour mieux réguler le transport urbain, la profession de transporteur routier évolue encore dans la confusion, et les conséquences sont graves
L’accès et l’exercice de la profession de transporteur routier et des professions connexes au transport automobile sont, en effet, réglementés par le décret présidentiel n° 2011-491 du 29 juillet 2011. Bien avant, un autre décret de 1990 dégageait les mêmes actes. La loi explique essentiellement comment procéder, tant pour les personnes physiques que morales, pour accéder a ce métier.
Malgré une concertation réussie entre l’État et les syndicats des transporteurs, harmonie trouvée à l’issue des grèves des transporteurs que le Congo a connues hier, le métier peine a trouver de vrais fondations. On constate encore l'inexistence ou presque de vraies sociétés privées de transports en commun telles que l’exigent les textes, et une dépossession de cette profession au profit de sujets étrangers, alors que la loi, notamment dans son article 3, est explicite à ce sujet.
Qu’attend l’Etat pour réguler ce secteur dont les effets sont manifestes au quotidien à travers les difficultés de transports ? Certains évoquent un laxisme dans la mise en route des textes d’application du décret, d’autres pensent qu’il est l’heure pour le secteur public de disposer d’une société de transport urbain afin de contrer les « lubies » d’un secteur privé en situation de monopole et qui décide à sa guise.
Créer de vraies sociétés et employer des Congolais
C’est en substance l’essentiel du message de la loi en vigueur. Au Congo, la plus petite société de transports routier devrait, en dehors du fait qu’elle doit être inscrite au registre du commerce et du crédit immobilier et posséder un compte bancaire, avoir un parc automobile de trois véhicules au moins et de sept au plus et employer six salariés au moins et dix-neuf au plus. Pour les personnes physiques, l’accès à la profession est réservé aux Congolais tandis que la création de sociétés de transports routiers de marchandises et ou de personnes est ouverte aux Congolais et aux étrangers.
Bien planté toutefois, ce cadre juridique n’est pas respecté pour l’heure. Le collectif des syndicats des transporteurs du Congo reconnaît que plusieurs opérateurs privés du secteur ne sont pas en règle. Outre la lancinante question des chauffeurs étrangers que ce collectif pose avec acuité, du fait qu’ils renforceraient le chômage dans un secteur protégé et seraient à l’origine de quelques cas d’insécurité, le problème de la profession du transporteur routier doit trouver sa solution dans la création de véritables sociétés de transport où les droits des uns et des autres seront connus et respectés.
Des difficultés dans la mise en œuvre des textes
Quelle réglementation espérer lorsqu’il existe déjà un décret bien détaillé ? Les textes d’applications manquent, souligne Jean-Pierre Ibovi, chef de service de la réglementation du transport urbain à la mairie de Brazzaville. La réglementation du transport veille sur les textes d’application qui ont été pris par le conseil municipal et le maire. Le service propose des mesures pour l’aménagement des transports dans la ville de Brazzaville tout en suivant les activités connexes, explique t-il. « Au niveau local, jusqu’à ujourd’hui, il n y a pas de texte qui accompagne ce décret. Il faut que les services qui permettent l’application des mesures travaillent ensemble, y compris le nôtre. On se retrouve un peu en difficulté avec la police sur le plan de la communication. Je voudrais bien que la mesure locale soit effective. Mais c’est à nous d’initier le texte pour que le maire signe », reconnaît t-il.
Un autre désordre viendrait de la « complaisance » de l’Administration dans l’obtention des documents officiels, même pour ceux qui ne sont pas en règle. Le permis de conduire et autres autorisations sont, à en croire certains professionnels des transports, parfois délivrés dans des circuits mafieux. À la direction générale des Transports terrestres, on pense que chaque administration en ce qui la concerne devrait assurer le rôle qui lui est attribué dans ce mécanisme. « S’il y a un décret qui réglemente la profession du transporteur routier, cela veut dire qu’il y a eu un travail qui a été fait pour régler ce problème. Maintenant, il y a des administrations qui doivent veiller à ce que les textes soient respectés. Nous ne sommes pas une administration répressive », précise une source souhaitant garder l’anonymat. Aucun document n’est délivré sans vérification, poursuit-elle en insistant par ailleurs sur la responsabilité des auto-écoles qui doivent subir un contrôle systématique. Toutefois, il s’agit pour elle d'appiquer des mesures de contrôle et de répression pour que les automobilistes soient en règle.
À la police, on évoque une « responsabilité partagée ». La première condition est d’être en règle. « La police devrait interpeller tout transporteur, qu’il soit congolais ou étranger, en train de conduire un véhicule de transport en commun », reconnait le colonel Jean-Aive Allakoua. Mais, la difficulté repose sur le fait que lorsque les agents préposés à la police routière interpellent un automobiliste, il est juste demandé les pièces de bord, pas la pièce d’identité
Pour le porte-parole de la police nationale, il suffit que chaque département puisse en tirer les conséquences, car la loi est précise. « Mais il faut que les conditions soient créées pour que la police aille un peu plus loin. Il faut qu’en amont les choses soient reprécisées. Il faut une instruction particulière à ce sujet, car maintenant il ne s’agit pas seulement de la circulation routière et des usagers de la voie publique. Il s’agit d’une vaste opération de contrôle », précise t-il.
Honorer les conclusions de la réunion du 23 janvier 2013
Le 23 janvier 2013, à la direction générale des Transports terrestres (DGTT) se tenait une réunion de la commission mise en place pour examiner les points du cahier des charges du Collectif des syndicats des transporteurs en commun du Congo qui n’avaient pas été traités au cours de la réunion des 18 et 19 janvier 2013 suite à l’avis de grève lancé par ledit collectif. Évoquant l’accès aux professions de transporteur et de chauffeur des véhicules de transport public ainsi que les mesures de protection des emplois réservés aux Congolais, les participants avaient reconnu que « les textes sont clairs, mais leur mise en œuvre n’est pas effective ». Cette situation « s’explique entre autres par la suspension des contrôles des documents administratifs par la police et la gendarmerie, les vides juridiques ou les insuffisances des textes d’application, les faiblesses dans la collaboration entre services », relevait-on.
La réunion avait décidé de faire respecter les textes de l’Ohada sur la création d’entreprises, ainsi que l’obligation de se présenter physiquement et de subir une formation à la chambre de commerce. De mêmes, elle avait approuvé le principe d’organiser des opérations de contrôle ciblées par la police et la gendarmerie simultanément sur l’ensemble du territoire national. Elle avait par ailleurs relevé la nécessité de créer un corps d’inspecteurs à la DGTT, dont l’une des missions devrait être le contrôle sur le terrain de l’exercice de la profession du chauffeur. Un recensement en urgence s’imposait également afin d’établir les fichiers des professionnels du secteur des transports terrestres.
Ces décisions, semble-t-il, sont restées lettre morte. Rencontré la semaine dernière à son siège, le Collectif du syndicat des transporteurs en commun du Congo a fait savoir son impatience et mijoterait une grève illimitée d’ici fin août si aucune issue n’est proposée. « Le gouvernement sera responsable des désagréments que cela causera. Nous exhortons les pouvoirs publics à faire appliquer ce décret dans un délai raisonnable », a déclaré Patrick Milandou, président du collectif des syndicats.
Et si l’État créait une société de transport urbain pour « montrer l’exemple » ?
Entre menaces de grève et caprices des transporteurs, la décision est attendue par les populations abusées par un secteur privé qui n'en fait qu’à sa guise. Elle est également partagée par plusieurs responsables des administrations concernées. La question devient d’autant plus légitime en raison des tracasseries de transports que connaissent les deux grandes villes, Brazzaville et Pointe-Noire, malgré le fait que l’État ait réduit et annulé certaines taxes qui embarrassaient l’activité.
Quand ce ne sont pas des gens entassés aux arrêts de bus aux heures de pointe à cause des fantaisies des bus, ce sont des clients de taxi qui ne s’accordent pas avec les chauffeurs sur le rapport entre l’itinéraire et le prix de la course. À ces désagréments traditionnels que vivent les populations depuis quelques années s’en est ajouté un autre aux conséquences notoires : la double course de taxi. Désormais, se déplacer devient une question de rapport et de force. De 700 FCFA la course de taxi est passée officieusement à 1 000 FCFA pour les moyennes distances. Les transporteurs évoquent l’état des routes comme raison avec les embouteillages comme corollaires.
Pour la police, ces arguments peuvent être vrais, mais le véritable problème réside dans la précarité du métier avec comme conséquence sa spoliation et la hausse des prix des courses. « Le propriétaire du véhicule exige un certain montant à verser chaque jour. Un emploi précaire. Donc il faut que le chauffeur prépare sa poche, ce qui accentue au finish le phénomène de demi-terrains et la hausse de la course de taxi », souligne Jean-Aive Allakoua.
« Il faut une société de transports tout en laissant la concurrence avec le secteur privé », estime Jean-Pierre Ibovi. Il est difficile, selon lui, pour le secteur privé de gérer seul le transport urbain dans les grandes villes du pays en pleine expansion. « La demande est là, et l’offre augmente. Comment régler le problème du prix lorsque les conditions ne sont pas réglées ? Voilà qui justifie même les doubles courses de taxi. Si vous dites aux taximen de mettre la course à 1 000 FCFA, ça va exploser car le risque serait qu’ils fassent grève. Il nous faut des bus à Brazzaville pour tenter de régler le problème. L’attroupement aux arrêts de bus est l’illustration parfaite que le privé ne peut pas gérer ce secteur tout seul », précise t-il.
Même son de cloche chez les transporteurs privés, qui ne sont pas hostiles à la création d’une société publique ou mixte de transport urbain. « C’est l’une des seules villes que je connais qui n’a pas de bus pour desservir toutes les liaisons. Et ce sont les populations qui en souffrent », souligne Patrick Milandou.