Une, deux, trois quatre et même cinq étoiles, les hôtels au Congo s’arrogent la classification, seuls, en l’absence d'un document actualisé. Entre prix de chambres et services proposés, chacun tente de rafistoler un confort qui ne répond parfois pas aux standards. En attendant une opération lancée par l’État pour assainir ce secteur et mieux promouvoir le tourisme, l’hôtellerie jouit encore de son ère de liberté. Enquête.
La moyenne hôtellerie, la plus consommée, a conquis les espaces de Brazzaville et des grandes villes depuis que les grands groupes hôteliers ont disparu. Bien ou mal installé, ce qui compte pour ces nouveaux venus, ces entrepreneurs congolais et étrangers détenteurs de licence ou non, c’est de bâtir et héberger au-delà des principes requis par l’activité. Si des villas entières sont désormais transformées en hôtels, même à des emplacements inconfortables, des constructions tous azimuts surplombent des avenues. Le répertoire hôtellier évolue certes, mais se pose la question du respect des principes établis par les standards. Car au-delà d’une chambre et de son prix, des services et du confort, les spécialistes pointent du doigt les surfaces des pièces qu'ils jugent exigues, le manque d’ascenseur pour les édifices de plus de 4 étages, d’Internet, de journaux et surtout de véhicule assurant la navette. Une petite liste de critères sur plus de 200 qui permettent d'évaluer un hôtel et de le classer.
Pour réorganiser le secteur, et se servant des prochains Jeux africains de 2015 comme élément déclencheur, l’État congolais a décidé de lancer un recensement administratif du secteur hôtelier. Sibiti et Brazzaville ont été choisis pour amorcer le processus. En attendant le dépouillement de l’enquête, on estime déjà à 900 hôtels à Brazzaville dont 150 seulement de classe internationale. Le constat fait ressortir un secteur en plein boom mais à quel prix ? Pour compléter ce travail de recensement, le ministère du Tourisme et de l’environnement lancera prochainement une opération de classification d’hôtels de tourisme. L'opération intervient 28 ans après celle réalisée en 1986 et qui avait attribué, non seulement des étoiles de luxe aux hôtels comme Mbamou Palace et Cosmos, mais permis au secteur de respecter les normes exigées en équilibrant prix et services.
Étoiles, prix et services, chacun fait son jeu
Les hôtels moyens remplissent la liste des nouveaux établissements qui affichent, pour la plupart, un luxe à l’orientale, même si les services laissent parfois à désirer. Les gérants ou propriétaires sont essentiellement des chefs libanais, commerçants et hommes politiques congolais. Pour se positionner et vendre, certains ont décidé de s’attribuer des étoiles sans l’avis de l’État. Deux ou trois étoiles pour l’essentiel, pour 12 chambres au plus, parfois sans Internet. La plupart de ces hôtels au personnel amateur ne possède pas de restaurant gastronomique. À l’OCH de Brazzaville, malgré un espace exigü, un hôtel qui compte déjà plusieurs années brandit trois étoiles. Ici, les chambres ne font même pas 9 mètres carrés comme l’exige le minimum pour un espace qui revendique un tel classement. et dire aussi que l’établissement ne possède pas de parking.
Le 17 septembre, lors d’un entretien, la Directrice départementale du tourisme, Martine Ngassaki, dénonçait « l’auto proclamation » des classifications que s’arrogeaient les hôtels. Depuis 1986, aucune opération n’a, en effet, été engagée par l’État pour classifier ces établissements, précise par ailleurs David Makolo Makoundou, directeur de l’hôtellerie. « Ils ne doivent pas mettre des étoiles, car c’est une décision seule de l’opération de catégorisation. Parce que lorsqu’ils décident de la sorte, ils ne répondent pas aux critères », souligne-t-il.
À ce jour, seul l’hôtel Olympic Palace est homologué par le ministère du Tourisme grâce à un nouveau classement adopté en 2004, mais abandonné aussitôt. Le document qui n’est plus d’actualité ciblait la classe d’une à quatre étoiles de luxe. « Avec les nouvelles normes qui vont emmener le classement a 5 étoiles, nous n’avons classé aucun hôtel depuis. Olympic Palace avait été classé comme échantillon et l’opération devrait se poursuivre », précise David Makolo Makoundou.
Plusieurs critères entrent, en effet, dans le classement d’un hôtel. À l’instar de la catégorisation, ce rangement, soulignent les experts, pourrait déterminer les prix des chambres d’un hôtel et même les tarifs des restaurants. Même si le rôle de l’État n’est pas de fixer les prix des chambres, en prônant la libre concurrence, le secteur pourrait obtenir des documents avec des tarifs approximatifs selon qu’on s’adresse à une catégorie d’hôtel. L’idéal, souligne Martine Ngassaki, est de faire en sorte que les prix reflètent les services proposés. « Vous ne pouvez pas payer une chambre à 35.000 CFA lorsque vous n’avez pas de climatisation et d’internet », commente-t-elle. « La destination Congo coûte trop cher, et c’est un frein au développement touristique », ajoute la Directrice.
L’autre effet recherché dans cette opération est la professionnalisation de l’offre et des services, car pour le secteur hôtelier, il s’agit d’aider à la formation du personnel qualifié au-delà des séminaires classiques que le ministère organise déjà. « Nous devrons apprendre aux gestionnaires d’hôtel qu’il s’agit d’un métier qui a des normes. La plupart d’hôteliers sont des non professionnels, des hommes politiques pour la plupart qui emploient un personnel parfois sans qualification. Et cela cause des difficultés au ministère lorsqu’il s’agit de les convoquer », assure la Directrice départementale du tourisme.
Améliorer les recettes hôtelières grâce à la classification
En organisant l’environnement du marché tel que prévu par les textes, outre la classification, le projet devrait également réviser les charges fiscales qui incombent aux hôteliers. L’une des raisons de la cherté des hôtels - un fait reconnu d’ailleurs un peu partout même hors du Congo - viendrait de taxes jugées extrêmes par les propriétaires alors que le taux moyen d’occupation des chambres est relativement bas ces dernières années, selon un constat. « Pour un hôtel, même à 50% de son occupation, on équilibre juste les charges. L’hôtel n’est pas dans sa marge bénéficiaire. Il faut qu’il ait une occupation autour de 70 à 75% pour équilibrer les choses. Donc, les hôtels sont parfois obligés de baisser les prix des chambres. Après les calculs, on se retrouve avec des difficultés de paiement de certains impôts. Car il faut payer les salaires, et les délestages causent également des problèmes », explique un patron d’hôtel sous anonymat.
À l’instar de la taxe touristique instituée par décret présidentiel depuis 1978, une sorte d’impôt indirect qui correspond à 10% du prix de la nuitée d’une chambre, les hôteliers sont contraints de payer la TVA, le centime additionnel, la taxe municipale, la taxe sur l’environnement, l’imposition de l’Onemo etc. Au niveau de la restauration, bien d’autres taxes font que les menus proposés soient élevés. « Nous sommes conscients de cet état de fait. Ajouter les taxes, ça augmente le prix d’achat. Il faut revoir les taxes pour que le montant de la chambre baisse », reconnaît le directeur de l’hôtellerie. « Ce n’est pourtant pas la raison pour que les hôteliers ne paient pas la taxe touristique qui sert à faire la promotion du tourisme. Et il y a bien d’hôtels qui paient cette taxe. Et c’est obligatoire », rappelle pour sa part Martine Ngassaki.
La taxe touristique, poursuit David Makolo Makoundou, est la marge que prend l’État sur le prix de la chambre. « Si la chambre coûte 10.000 FCFA, le commerçant mettra une marche de 2.000 FCFA. La chambre coûtera alors 12.000 FCFA. L’hôtelier collecte cet impôt qui s’ajoute sur le montant réel de la chambre. C’est le même principe de la TVA. À cela s’ajoutent d’autres taxes et finalement le prix de la chambre peut monter à 13000 FCFA. Le surplus, c’est ce que l’État récupère », explique-t-il.
C’est à travers cette taxe que le ministère du Tourisme et de l’environnement participe au budget de l’État. Chaque année, c’est environ 150 millions FCFA de recouvrement de cet impôt versés au trésor public. Une partie servirait à la promotion du tourisme et à l’investissement. Selon plusieurs experts, l’État aurait pu faire mieux si le secteur hôtelier était mieux géré. « 150 millions FCFA, ce n'est pas beaucoup pour un pays où les hôtels fleurissent partout. Je crois que le problème est lié au fait que plusieurs établissement échappent au contrôle de la Direction générale du tourisme », commente Alexis Franck Makaya Ngoulou, économiste et membre d’un cabinet d’audit.
Une remarque que ne rejette pas en bloc le directeur de la Réglementation et du contentieux au ministère du tourisme, Michel Mboukou, qui reconnaît que la faiblesse des moyens de sa direction ne permet pas l’organisation d’enquêtes exhaustives sur les établissements hôteliers clandestins. « Il y a un décret 1984/78 du 19 janvier 1984 portant règlementation du secteur d’hébergement et restauration. Ce décret fixe les conditions dans lesquelles les promoteurs sont amenés à constituer leurs dossiers. La difficulté est que nous trouvons des hôtels sans papier et qui ne sont pas répertoriés », affirme-t-il. « La ville est grande, et nous n’avons toujours pas de moyens pour nous déplacer. Surtout pour contrôler ceux qui n’ont pas de papiers », renchérit Michel Mboukou.