Violences sexuelles : les adolescentes dans le viseur des agresseurs

Dimanche, Novembre 30, 2014 - 16:15

Environ 86% des victimes d'agressions sexuelles enregistrées ces dernières années à Brazzaville sont des enfants et adolescents dont l’âge varie entre 3 et 15 ans. Un phénomène de plus en plus inquiétant qui appelle à une concertation des services concernés dans la protection des victimes mais surtout dans la prévention du fléau. 

Ces dernières années, comme la plupart du temps, les victimes sont exclusivement de sexe féminin, soit 95%. Elles ont été assaillies par des personnes qui les connaissent. Parents, enseignants et voisins sont longuement cités dans des rapports conjoints de commissariats et des structures hospitalières. 2302 victimes ont été reçues pour agression sexuelle de 2007 à 2013 dans les locaux des hôpitaux de base de Makélékélé, de Talangai et des Centres de santé intégré de Ouenzé et Poto-Poto.

« L‘âge de ces victimes se situe en moyenne à 15 ans avec des extrêmes de 3 ans et 27 ans, durant  l’année 2012 au sein des antennes de prise en charge de Potopoto et Ouenze. D’après la représentation graphique de l’âge victimes sur le camembert, 54 cas sur les 63 enregistrés, soit 86%, sont des enfants et  adolescent dont l’âge se situe entre 3 ans et 15ans », restitue le Dr Carmen Matoko, gynécologue au Centre de Santé Intégré (CSI) de Poto-Poto et spécialiste Genre.

Ce sont pour la plupart des jeunes filles prises dans le filet des bourreaux. Abusés à cause de leur naïveté ou leur vulnérabilité, elles ont subi des traumatismes dont la prise en charge, ces dernières années, paraît déficiente par manque de structures spécialisées et de traitement d’urgence, rapportent des spécialistes. Pendant ce temps, les agresseurs courent les rues car vite déchargés. « Ils ne se montreraient pas suffisamment inquiétés par des procédures judiciaires dont on espère l’amélioration du cadre en la matière », se lamentent des familles ayant subi le lourd préjudice

D’après le récit des victimes, les auteurs d’agressions sexuelles sont des hommes adultes. Dans 60% des cas, l’agresseur est un voisin, et un ami dans 16% des cas. L’inceste se situe à 3%. Si les hommes adultes représentent la principale liste noire des « violeurs », les adolescents se retrouvent petit à petit dans le cercle vicieux avec 13% des situations. « L’émergence d’agresseurs mineurs montrent la mutation que prend le phénomène et la nécessité de la prise en charge psychologique de ces agresseurs », commente le Dr Carmen Matoko. Proches des enfants et des fidèles, les enseignants et pasteurs d’église ont été également épinglés dans quelques cas enregistrés ces dernières années.

Des conséquences fâcheuses et une prise en charge difficile

Au-delà des souffrances physiques comme des lésions de toutes sortes et les infections sexuellement transmissibles, les victimes des violences sexuelles souffrent de traumatisme psychologique. En 2012, par exemple, 32 cas d'infections sexuellement transmissibles ont été dépistés chez les victimes de violences sexuelles reçus dans les antennes de prise en charge de Poto-Poto et Ouenzé. « Aucune sérologie initiale à VIH n’a été positive pour toutes les victimes qui les ont faites mais aucune sérologie à 3 mois n’a été faite », précise-t-on, dans un rapport. Deux cas de grossesse avaient été signalés, par ailleurs. « Déjà, le phénomène croissant des enfants nés d’un viol et rejetés par les communautés comporte les germes de violences futures et n’augure rien de bon pour le futur du continent », concluait à ce propos un communiqué de l’Union africaine en 2013 lors d’une réunion consacrée aux violences sexuelles.

L’essentiel de la prise en charge médicale repose sur le traitement des lésions traumatiques en urgence, et un traitement prophylactique par la prévention des infections sexuellement transmissibles, explique le Dr Landry Gislaine Nselé, responsable de la prise en charge des victimes de violences sexuelles au CSI de Kinsoundi, à Makélékélé, où elle est affecté temporairement. Organisée ces trois dernières années grâce à un important don du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) en 2011, et un appui de l’ONG Azur Développement, la prise en charge  des victimes est de plus en plus déficitaire.

Parmi les causes, l’on cite la carence en personnel médical formé pour renforcer les antennes de prise en charge dans les CSI, et l’absence de médicaments de traitement d’urgence des victimes tel que les antibiotiques, les ARVs, les pilules du lendemain. L’insuffisance de  psychologues au niveau des centres amoindrit, par ailleurs, les chances des victimes de poursuivre la prise en charge psychologique. « Beaucoup de victimes présentant de problèmes socio-économiques secondaires à l’agression sont perdus de vue à cause de l’absence d’une assistante sociale », soutient le Dr Landry Gislaine Nselé.

Des défis multiples à relever

Pour lutter contre les violences sexuelles dont sont victimes les filles pour la plupart, une implication de la communauté environnante des centres de santé dans la prise en charge est recommandé. Il s’agit, explique-t-on, d’un travail de sensibilisation, de dénonciation et de diligence dans le recours à la prise charge en raison des risques liés au retard du traitement. « Nous devons plaider pour la gratuité à toutes les étapes de la procédure de prise en charge holistique et appuyer les initiatives qui favorisent le réseautage des différents intervenants dans la prise en charge des violences sexuelles, agents de santé, et services sociaux, police gendarmerie, juge, procureur »,  le Dr Carmen Matoko.

Les spécialistes souhaitent également la mise en place d’une coordination nationale chargée de développer une stratégie nationale de lutte contre les violences sexuelles, et des antennes de prise en charge dans tous les CSI du département de Brazzaville. Pour l’heure environ cinq CSI seulement détiennent des antennes de prise en charge.

L’un des défis majeurs à relever reste cependant la lutte contre l’impunité. Car selon des témoignages des victimes, les agresseurs ne seraient pas inquiétés en raison des procédures judiciaires trop lentes et moins coriaces à leur égard. Mais il faudrait, suggère-t-on, organiser des compagnes de sensibilisation et d’éducation contre les violences sexuelles. L’objectif, comme le souligne un document de l’Union Africaine est de « réduire sensiblement ou d’éliminer la violence sexuelle, et d’accélérer la mise en œuvre de réponses urgentes au problème de la violence sexuelle, qui sont nécessaires pour assurer la prévention, la protection, l’accès aux soins et à la justice pour les victimes ».

 

Quentin Loubou