L’ancien Président de la Commission de Surveillance du marché financier de l’Afrique Centrale, actuellement à la tête du cabinet GMA Finance Conseil, décrypte, dans une interview exclusive, la situation des économies de la sous-région face à la chute des prix du pétrole sur le marché mondial.
Les Dépêches de Brazzaville : Le sommet des chefs d’Etat de la Cémac (prévu les 7 et 8 janvier et reporté) devrait, entre autres, se pencher sur la chute des prix internationaux du pétrole et ses effets sur les économies de l’Afrique centrale. Quelle est, en réalité, l’ampleur du choc sur nos pays ?
Alexandre Gandou : Depuis le milieu de l’année 2014, jusqu’à ce jour la baisse du prix du baril de pétrole est de l’ordre de 50%. Une telle dégringolade a une incidence sur les économies des pays de la sous-région. Le Congo et les quatre autres pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) que sont le Gabon, la Guinée Équatoriale, le Tchad et le Cameroun, sont des pays producteurs de pétrole. Pendant plusieurs années, le dynamisme de leurs économies a été porté par le prix élevé du baril de pétrole, générant des recettes importantes au point d’accumuler des réserves de devises considérables. Le retournement brutal du cours du baril ne peut qu’affecter toute l’économie des pays de la zone et justifie que les débats soient centrés sur l’analyse de la conjoncture actuelle du marché international du pétrole et son impact. À l’occasion de la réunion des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale, tenue à Libreville en décembre 2014, les autorités monétaires des pays de la Cémac, en l’occurrence le gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) a revu à la baisse le taux de croissance, le ramenant de 6,7% à 5,4%. De plus, on peut conclure que l’impact de la baisse de la principale ressource budgétaire du Congo va fragiliser le financement du budget d’investissement et provoquer des tensions internes dues aux arriérés de paiements divers. On observe déjà une grogne des opérateurs économiques dont l’échéance de la dette intérieure n’est pas honorée dans son intégralité.
LDB : Quelles sont les causes de cette chute brutale du prix du baril?
AG : On peut aller chercher l’explication de cette chute du prix du baril dans la théorie de l’offre et de la demande, mais pas seulement. Des considérations d’ordre géostratégique rentrent également dans les facteurs explicatifs. Du côté de la demande mondiale, on constate une baisse causée par la faible croissance des économies européennes et un certain ralentissement dans la croissance chinoise, alors que celle-ci a constitué pendant de longues années, un élément moteur de la demande mondiale. Du côté de l’offre, la production d’huile de schiste américaine vient confirmer une hausse de la production. Celle-ci devrait encore progresser avec le redémarrage de la production de pétrole par la Libye. Face à ce surplus d’offre, l’Arabie saoudite a envoyé des signes aux marchés portant à croire qu’elle ne jouerait sans doute plus à l’avenir son rôle de régulateur des prix. Elle a d’abord annoncé une baisse des prix auprès de ses clients asiatiques fin septembre 2014, puis en Europe et aux Etats-Unis.
LDB : Justement vous parlez de géostratégie ; peut-on lier cette baisse des cours du pétrole à la crise diplomatique entre l’Occident et la Russie ?
AG : Dans un climat semblable à celui de la guerre froide, l’Occident est coalisé (Europe et Etats-Unis) pour affronter la Russie qui cherche à étendre son influence sur certains pays de l’Europe de l’Est, comme l’Ukraine. Or, cette chute des cours du brut se conjugue à la fuite massive des capitaux depuis un an et aux sanctions prises par les Occidentaux pour punir Moscou de ses interventions armées en Ukraine. Moscou a certes des réserves de devises, mais l’effondrement du rouble par rapport au dollar et à l’euro inquiète de plus en plus les consommateurs russes. Dans cette guerre économique, on peut raisonnablement imaginer une certaine entente entre les Etats-Unis et son allié l’Arabie Saoudite pour agir sur l’offre, en l’augmentant afin de baisser les prix à un niveau asphyxiant pour la Russie. Dans le but de sanctionner, économiquement parlant la Russie, une des thèses qui a vu le jour est donc cette entente. Selon certains analystes, une autre thèse avance que l’Arabie Saoudite cherche à maintenir des prix bas pour dissuader la Russie (et la Chine) à iinvestir dans leurs réserves de pétrole de schiste, plus coûteux à exploiter. Au vu de ce qui précède, la baisse du prix du baril va s’estomper et osciller autour d’un prix d’équilibre que l’on fixe à quatre-vingt dollars le baril. Ce prix-là est à la fois dissuasif d’exploiter le pétrole de schiste et compatible avec cette théorie de l’offre et de la demande.
LDB : Et le Congo dans tout cela, quels enseignements devrait-il tirer de cette situation ?
AG : La chute des cours accroît les risques d’instabilité au Congo pays exportateur de pétrole, le plaçant brutalement dans les difficultés, voire dans l’incapacité de financer sa politique sociale. Avec un budget financé à 80% par les recettes du pétrole dont le prix à baissé de moitié, le choc est retentissant et appelle une riposte appropriée. La compression des dépenses, tous azimuts et sans discernement, ne doit pas casser la mécanique qui a permis de soutenir l’investissement public et d’alimenter la croissance économique du Congo. Il serait judicieux de financer le déficit budgétaire consécutif à la baisse des recettes pétrolières en ponctionnant un peu sur les réserves officielles détenues à la Beac. Celles-ci se situaient à 2.509 milliards FCFA à la fin de 2013, soit l’équivalent d’environ 7 mois d’importations de biens et de services. En revanche si ce matelas de sécurité s’est entretemps érodé et s’avère fort limité, alors l’ajustement budgétaire sera plus drastique avec son corollaire de tension sociale. C’est là un défi que le Congo pays exportateur devra relever.
LDB : Quelles peuvent être, pour le Congo, les options possibles pour relever ce défi ?
AG : Face à la décrue des moyens financiers il faudra, sans tarder, améliorer la gestion des finances publiques, en améliorant davantage la perception des recettes douanières et fiscales. De plus, il importe d’agir sur les revenus provenant des secteurs minier et forestier. Et, bien entendu, il faut aussi compter sur notre potentiel agricole pour diminuer notre dépendance des importations. Le potentiel minier considérable du pays, qui devrait connaître un début d’exploitation à partir de 2015, offre aussi des possibilités d’accroître la richesse créée par le Congo, ainsi que le traitement de la production agricole.
Enfin, le positionnement géographique stratégique du pays, avec une façade maritime et un port en eau profonde, constitue un atout de taille pour l’accès des PME congolaises aux marchés régionaux et internationaux.
LDB : Parlez-nous un peu de votre expérience en matière de mobilisation d’épargne publique à des fins de financement des investissements de l’Etat. Vous avez conduit plusieurs opérations d’emprunts obligataires en Afrique centrale… n’est-ce pas ?
AG : Dans la logique de modernisation du mode de financement, plusieurs Etats de la zone Cémac ont lancé des emprunts obligataires. Le Gabon a été le premier à lancer avec succès une opération d’emprunt obligataire de Quatre-vingt-deux milliards FCFA en 2008. Aucun incident de paiement n’a été observé et aujourd’hui, cette dette est éteinte car elle a été totalement remboursée. L’Etat du Tchad a sollicité le marché à deux occasions en émettant des emprunts obligataires d’un montant de Cent milliards FCFA en 2011 et Quatre-vingt-cinq milliards en 2013. Les fonds ainsi levés ont eu pour objectif principal le développement de l’économie dans la vision du Président Idriss Deby Itno de transformer le pays à l’horizon 2025. Cela a permis la construction d’un centre d’affaires dans la capitale N’Djamena et la création de plusieurs édifices modernes regroupés au sein d’une cité internationale des affaires au cœur de cette ville. Le Cameroun l’a également fait avec succès. En décembre 2010, l’Etat du Cameroun a lancé un emprunt obligataire de Deux cent milliards FCFA pour une durée de cinq ans avec un rendement de 5,6% net par an. Cette première émission a été réalisée par voie de syndication à travers la Douala Stock Exchange et visait à répondre aux besoins infrastructurels et à développer et dynamiser le marché national et régional.
LDB : Qu’est-ce qui explique l’engouement des États à financer leurs Budgets par cette modalité ?
AG : Au début des années 2000, les Etats de la Cémac ont volontairement fait le choix de ne plus recourir au financement monétaire de leurs budgets qui consistait à recevoir de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale, au titre des avances en compte courant, l’équivalent de 20% du total du Budget de l’année écoulée. Cette modalité de financement n’était rien d’autre qu’une survivance de la planche à billet avec son corollaire qui est son impact sur l’inflation. En abandonnant ce financement monétaire, les pays de la Cémac admettaient d’émettre des titres de la dette publique pour financer les déficits budgétaires. Ainsi, certains Etats de la zone ont-ils émis avec succès des emprunts obligataires.
LDB : Il semble malheureusement que l’Etat du Congo ne fait pas recours à ce mode de financement en dépit d’importants projets d’investissement engagés. Qu’est ce qui peut justifier une telle attitude ?
AG : Ce dont je suis convaincu est la nécessité impérieuse de mobiliser l’épargne nationale, régionale voire extérieure pour accroÎtre la capacité d’investissement du pays. Les réserves de devises que le Congo a pu se constituer doivent être conservées et placées pour servir de garantie au moment où le pays choisira d’émettre de la dette publique avec les ressources appropriées et honorer en tout temps la signature de l’Etat emprunteur. Le Congo doit pouvoir se servir de l’endettement comme d'un effet de levier. C'est ce qui se fait dans tous les pays du monde.