L’enveloppe d’un peu plus d’un milliard de FCFA prévue cette année par les autorités congolaises pour organiser la 10ème édition du Festival panafricain de musique (Fespam) qui coïncide avec la célébration du 20ème anniversaire de sa création laisse des doutes sur la réussite de l’évènement. Entre la conviction des organisateurs et le scepticisme de plusieurs experts, le Fespam, qui jubile doublement cette année, s’invite à une petite revue.
Dans les couloirs du Commissariat général du Fespam, visiblement réaménagés, aucun bruit ne brise encore le silence laissé par la 9ème édition qui avait englouti 4 milliards de FCFA. C’est plutôt dans une sérénité extraordinaire que les cadres s’activent, là-bas, à rectifier les choses afin que l’édition de 2015 se range totalement avec 1 milliard 350 millions de FCFA, le budget officiellement accordé par l’État, pour célébrer l’évènement musical qui compte parmi les plus importants sur le continent. Le Comité de direction du festival avec, à sa tête, le ministre Jean Claude Gakosso avait estimé, en août 2014, ce budget à 6,5 milliards de FCFA pour l’édition 2015.
Avec comme pour thème « La dynamique des musiques africaines dans la diversité des expressions culturelles », la dixième édition du Fespam aura lieu du 18 au 25 juillet 2015. Le compteur marque deux mois seulement pour tout boucler, mais les organisateurs sont confiants. « Nous savons ce que nous devons faire et nous la préparons normalement. Au moment où vous rentrez dans nos bureaux, nous parlions de la liste des artistes étrangers pressentis », lâche Dieudonné Moyongo, le commissaire général du Fespam, entouré des directeurs artistique, communication et du symposium.
Cuba, destination incertaine
« La 10ème édition se prépare comme les éditions antérieures puisque ce sont les mêmes cadres qui sont là et la même équipe », assure-t-il. À ce jour, dans le cadre des préparatifs, deux missions de prospection ont été réalisées à Mbé, siège du royaume téké, où sera organisé le lancement national du festival avec la construction du palais royal. Le gouvernement, explique-t-il, voudrait inscrire ce site sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Quant au lancement international du fespam, prévu cette année, à Cuba, l’inquiétude et le doute se lisent en raison des restrictions budgétaires. « Avec la volonté politique nous le ferons. Il suffit que les moyens soient décaissés à temps, car quelque fois cela pose des difficultés », souligne le Commissaire général.
À deux mois du festival, aucun financement n’a encore été décaissé sur le milliard et demi prévu. On sussure d'alleurs qu'environ 40% seulement du budget risqueraient d’être disponibles. « Le pétrole a connu une baisse du prix du baril. Pour être en mesure de contenir les dépenses de cet exercice budgétaire, le ministère des Finances s’est résolu de réduire les budgets de tous les départements ministériels », explique Dieudonné Moyongo.
Cependant, la baisse drastique du budget du festival, associée à la réduction de celui de fonctionnement du Commissariat général passant de 350 millions de FCFA à 90 millions l’année, laisse entendre plusieurs interprétations. Ce nettoyage budgétaire a d’ailleurs contraint le ministère de la Culture à remercier environ 25 salariés du Commissariat général du fespam. Les responsables de l’institution estiment que la décision a été prise « avec toutes les responsabilités pour éviter de gérer une situation plus compliquée par la suite ».
Chronique d'une mort annoncée ?
Quoique des arguments budgétaires liés à la baisse du baril de pétrole expliquent le rétrécissement de l’enveloppe du festival, des propos font allusion à un ras le bol de l’État qui finance à 90% un rendez-vous qui peine à s’autofinancer et à se développer véritablement. En 20 ans, le Congo n’a pas failli à cet engagement panafricain, se réjouit l’État. Déterminé à assurer son leadership musical sur le continent, les budgets du fespam sont allés crescendo. Un serment qui expliquerait sans doute le rôle de Brazzaville choisie par l’Unesco comme ville créative et c’est sans conteste que la ville abrite le siège du Conseil africain de la Musique qui est la branche régionale du Conseil international de la musique.
Mais à côté de ce succès diplomatique, des professionnels estiment que le festival n’a vraiment pas fait de bonds prodigieux. En 20 ans d’existence, le fespam aurait connu un rayonnement différent de celui qu’on lui reconnaît actuellement. « Il faut lui redonner un peu plus d’éclat. Je crois qu’il faut redéfinir un certain nombre de choses. Dans ce genre d’organisation, il faut aussi faire appel à des gens qui ont beaucoup de maîtrise. Nous étions à l’époque entourés de beaucoup de professionnels et c’était le prix à payer pour mettre le festival sur les rails », rappelle Constant Ferréol Ngassaky’s, ancien commissaire général du festival.
« Au-delà de la dimension politique qui s’inscrit dans la lignée du panafricanisme, il y a aussi la dimension artistique qu’il faille voir. Qu’est-ce que le fespam apporte au-delà de la cohésion sociale ? Je crois qu’à ce niveau il y a encore des problèmes », analyse Hugues Ondaye, membre du comité de direction du Fespam pour le compte de la Mairie de Brazzaville, et responsable du festival Feux de Brazza. Au-delà du côté festif, le Fespam, suggère-t-il, devrait jouer véritablement son rôle de promotion de la musique africaine. Le festival devrait insérer la musique africaine dans les grands réseaux de distribution au monde, en faisant venir des bailleurs qui financent l’activité musicale, des directeurs de festival pour inscrire les artistes congolais et d’ailleurs dans l’agenda d’importants rendez-vous. « Il faut qu’il joue pleinement son rôle d’un événement artistique, fédérateur, avec un effet d’entraînement sur tous les autres secteurs, booster l’hôtellerie et l’artisanat. Il y a aussi les artistes eux-mêmes, en dehors des cachets », soutient Hugues Ondaye.
S’appuyant sur le Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabou (FEMUA) qui célèbre sa 8ème édition, avec un concept intelligent tourné vers la réalisation d’actions sociales, grâce désormais au soutien de la CDÉAO, de l’Unesco et d’autres partenaires, l’ancien commissaire général Ferréol Ngassaky’s estime qu’en 20 ans, le Fespam devrait léguer d’importantes structures capables de dynamiser l’industrie musicale. « On aurait pu faire renaître par exemple l’Industrie africaine de disque qu’enviaient tous nos parents d’Afrique. On aurait pu créer ne fût-ce qu’un embryon de structures de ce genre », suppute-t-il.
« L’infrastructure ne suit pas, on ne peut abriter un tel évènement et qu’il n’y ait pas un centre de diffusion par exemple, une salle de spectacle, un espace approprié pour un tel évènement », complète Hugues Ondaye
Le problème du Fespam, ce n’est pas le budget…
Sans langue de bois, spécialistes et artistes estiment que la réduction des budgets ne résout pas la « morosité » du Fespam de ces dernières années. Pour la plupart, il s’agit d’un problème intérieur lié au manque de professionnalisme des agents et la structuration de l’évènement. « Si déjà à 4 milliards nous avons le résultat que nous déplorons tous, que réaliseront -ils avec 1 milliard ? », s’interroge un artiste ayant requis l’anonymat.
« Le Congo fait erreur. La vraie diplomatie est culturelle. Toutes les négociations avec les financiers du Congo ont toujours tendance à marginaliser la culture. Il y a aucun ministre des Finances qui est passé et qui n’est pas tenté par détruire le Fespam. Le problème n’est pas forcement financier, il faut laisser les professionnels faire leur travail et les politiques faire le leur », martèle Hugues Ondaye.
Au Commissariat général du Fespam, l’heure est à l’examen minutieux de ce budget. Posture politique oblige, Dieudonné Moyongo ne laisse présager aucun souci, sauf celui du décaissement à temps des finances. « Ce n’est pas parce que le budget a été réduit que cela présenterait une difficulté majeure qui empêcherait sa bonne organisation. Nous allons redimensionner nos activités », argue-t-il.
Un Fespam à un milliard de FCFA est-ce possible ?
Assurément, répond la plupart de professionnels. « C’est une question d’organisation tout simplement », affirme Ferréol Ngassakys qui évoque, entre autres, la révision des cachets d’artistes et la collaboration. Un autre problème freinerait la bonne gestion des budgets : le comportement des agents de l’État aujourd’hui, devant un festival géré seul par le public. « Ils n’ont pas l’obligation de résultat, et il ne faut pas se le cacher », lance un arrangeur de musique.
Le fespam coûte cher à l’État. « Si le budget allait crescendo d’édition en édition, c’est plutôt une bonne chose mais le but était aussi de permettre à l’État de s’y désengager progressivement », explique Ferréol Ngassakys, s’interrogeant par ailleurs si l’objectif a été atteint.
Visiblement non quand on s’imagine le maigre pourcentage que prennent les sponsors dans ce budget. En l’absence de chiffres officiels, on l’estime à environ 10%. Une situation qui laisse penser que le Fespam vit un désengagement de l’Afrique et d’autres partenaires à l’instar de l’Unesco et autres sponsors. Selon nos sources, lors de l’édition dernière, Azur, le sponsor officiel, avait débloqué 50 millions de FCFA convertis en gadgets et autres supports de communication pour soutenir le Fespam. « C’est insignifiant pour un sponsor officiel ! », apprécie un spécialiste. « Mais le problème c’est aussi aux acteurs du Fespam de savoir vendre le festival pour qu’il ait des retombées », suggère-t-on.
De même, lors du festival des Arts nègres de Dakar, au Sénégal, le budget avait été établi à environ 48 milliards de FCFA. Le gouvernement sénégalais a soutenu le festival avec 20 milliards et les autres ont apporté le reste. Le Congo aurait financé à hauteur d’un peu plus de 300 millions de FCFA. Coca-Cola a apporté à 1 milliard ainsi que la Libye et le Cameroun.
Devant cette preuve de panafricanisme et de soutien, l’on est en droit de se poser la question de savoir pourquoi le fespam est financé seul par le Congo. La réponse, estime Hugues Ondaye, est dans la manière de vendre le festival de plus en plus convoité par tant de pays. « Il revient au Congo de bien vendre son événement. Mais le constat est là, le Fespam a du mal à décoller ». « C’est un bijou qu’il faut garder », avertit Ferréol Ngassakys.