Nouveaux villages agricoles : le poulet de chair d’Imvouba se fait rare

Lundi, Mai 4, 2015 - 13:00

La production intensive des poulets de chair à Imvouba, village situé à environ 130 km sur la route nationale N° 2, est loin de connaître le succès attendu. Le 2ème village agricole construit par l’État, après celui de Nkouo à une trentaine de kilomètres, veut améliorer ses résultats, mais demeure confronté aux problèmes structurels et à l’épineuse question d’approvisionnement en aliment de bétail. 

45 exploitants congolais sélectionnés occupent depuis le 5 février 2012 le site d’Imvouba, visiblement plus spacieux que Nkouo, avec comme mission principale : la production des poulets de chair. Dotés d’un poulailler de 15 sur 20 mètres avec une capacité maximale de 1500 unités, les exploitants, comme à Nkouo, tiennent chacun et gracieusement deux hectares de terre pour quelques cultures maraîchères.

En trois ans d’activité, l’idéal que se sont fondé l’État et les exploitants sur ce projet semble mitigé. Les causes sont multiples. De ce qui ressort de part et d’autre de la coordination nationale du projet et des exploitants, l’on pourrait sensiblement déduire qu’Imvouba n’a pas bénéficié des mêmes précautions que Nkouo ou, tout simplement, la politique mise en place n’a pas tenu compte des spécificités de ce village dont le produit final exige plus d’abnégation des parties concernées.

L’instabilité des chiffres réalisés ces trois dernières années témoigne d’énormes difficultés. En 2012, le village a produit 204.531 poulets de chair envoyés en vente à Brazzaville. L’année suivante, une production de 256.308  a été notifiée dans le registre de la coordination du projet des Nouveaux villages agricoles, au ministère de l’Agriculture et de l’élevage. L’année 2014 marque une véritable rupture avec la croissance de la production. 160.308 individus seulement sortis de l’abattoir du village. Des chiffres bien en deçà de la moyenne que l’on estime à plus de 300.000 poulets par année au regard des cycles de production prévus. Sans désespérer, les responsables du projet des Nouveaux villages agricoles, qui disent connaître les goulots d’étranglement, évoquent des mesures progressives. Chez les exploitants qui subissent les effets de cette contre-performance, l'inquiétude est à l'ordre du jour.

Carence d’aliment de bétail et de cycles de production, deux problèmes majeurs

Il faut 100 kg d’aliment par jour et par exploitant pour prétendre obtenir des poulets en parfait état. Ce qui représente un peu plus de 4000 kg, voire une tonne d’aliment par jour. Un challenge pour l’État et les éleveurs car l’aliment vient essentiellement du Cameroun, en raison des défaillances de la Congolaise de développement et de distribution des produits agro-alimentaires (Coddipa). Pour 425 FCFA le Kilogramme, l’on peut imaginer l’enveloppe mensuelle nécessaire sans compter le coût du transport et les aléas de l’importation. La disponibilité de l’aliment en quantité et en qualité dépend du résultat après des semaines d’élevage, explique Max Rodrigue Ngabali, président de la coopérative des exploitants du village d’Imvouba.  

L’aliment de bétail en quantité est « important pour rendre nos poulets compétitifs », souligne Jean Claude Elombela, Coordonnateur national des Nouveaux villages agricoles. « Il faut que le village d’Odziba soit réalisé pour que le projet soit autonome en matière d’aliment mais aussi d’approvisionnement en poussins », précise-t-il. Dans le premier périmètre du projet, en effet, le village d’Odziba qui n’est pas encore construit devrait jouer un rôle important. Placé entre Nkouo et Imvouba, il est destiné, selon la philosophie du projet, à abriter un broyeur d’aliment de bétail pour servir les autres villages. Odziba, village central, serait également pourvoyeur de poussins mais également de poulettes destinées à Nkouo.

« Du fait qu’Odziba ne fonctionne pas, une partie des exploitants d’Imvouba prépare les poulettes qui viennent à Nkouo. On prend le poussin d’un jour, on l’élève jusqu’à environ 6 semaines, et on le transfère à Nkouo où, quelques semaines plus tard, les poulettes produisent les œufs. Or, l’exploitant ne peut pas prendre les poulettes depuis le jeune âge jusqu’à la ponte ; cela coûterait cher en aliment », explique Jean Claude Elombela.

Selon des sources, la construction du village d’Odziba avait été délaissée au profit des maisons construites en urgence à Kintélé, dans la banlieue nord de Brazzaville, suite à la catastrophe du 4 mars 2012. Les matériaux destinés à Odziba avaient été utilisés pour les maisons préfabriquées par la société israélienne. L’État, avait, semble-t-il, changé de priorité devant l’urgence. En attendant la mise en place de ce village central, le projet prend un coup en termes de productivité. L’une des conséquences pour Imvouba, en effet, est la non prise en compte des cinq cycles de production prévus au départ pour atteindre la barre optimale de revenu. En clair, explique Max Rodrigue Ngabali, « un cycle c’est lorsque le poussin d’un jour entre et sort 45 jours après. Il est vendu et on remet d’autres et ainsi de suite ».

Pour une année, Imvouba ne se limite qu’à trois cycles. En sus des difficultés liées à l’aliment de bétail, les raisons évoquées concernent la mise en place tardive de l’abattoir - une épreuve qui faisait que les poulets restent longtemps - et le fait que les poussins sont importés avec les risques de mortalité à l’arrivée. Ce qui justifie, selon la coordination nationale du projet, le faible rendement de ces dernières années, notamment en 2014.

À Imvouba, la question des revenus fâche

Où trouver le poulet de chair d’Imvouba ? Question à laquelle Max Rodrigue Ngabali, président de la coopérative des exploitants, n’ose répondre. « Nous ne gérons pas la vente des poulets. Demandez à nos partenaires israéliens ou à la coordination du projet », se défend-t-il. Combien gagnez-vous dans la vente des poulets après que les opérations se sont réalisées ? Là également, aucune réponse nette sauf une plainte. « Contrairement à nos amis de Nkouo qui touchent leur salaire par rapport au niveau des ventes, nous sommes payés sur la base d’un forfait que nous ne comprenons pas », lance Max Rodrigue Ngabali.

Si l’œuf est vendu tous les jours, le poulet ne répond pas à ce type de circuit, explique, au ministère de l’Agriculture, Jean Claude Elombela, tentant d’éclaircir le souci des exploitants assujettis à des « appuis » allant de 50 à 150.000 FCFA. « À cause justement des ruptures causées par des cycles cités plus haut, le poulet d’Imvouba, bien que performant, peine à trouver sa place sur le marché devant le poulet importé. Il y a des moments où les poulettes sont petites, à cause de ce vide. Pour ces raisons, nous leurs apportons un appui remboursable dès l’instant où ils ont des revenus. Ils ne peuvent pas se comparer aux éleveurs de Nkouo, car ce n’est pas la même activité », développe-t-il.

Malgré ces éclaircissements, à Imvouba la question du revenu fâche. Quels que soient les problèmes, les exploitants souhaitent une gestion participative. Ces différentes incompréhensions sont d’ailleurs à l’origine du départ du site d’un fermier, sur les 45 présents depuis le démarrage en février 2012, selon des murmures entendus sur place.

Pour les inciter à optimiser leur revenu du mois, la coordination nationale du projet les encourage à produire davantage dans le maraîchage. Mais, avec les moyens rudimentaires, font remarquer les fermiers, il n’est pas évident de travailler deux hectares. « Il faut avoir les moyens pour s’exercer sur deux hectares. Surtout que nous sommes dans une zone où la pluviométrie est très élevée et l’herbe pousse vite. Nous nous exerçons sur trois à quatre champs et nous faisons de petites cultures maraîchères. Vous ne pouvez par exemple pas arroser sur deux hectares, et la location d’engin coûte cher », souligne un exploitant, sous couvert d’anonymat.

Pour les maraîchers, l’État a installé une brigade mécanisée a Bambou, non loin d'Ignié, où ils peuvent négocier à 40.000 FCFA le labour. Pourtant, cela reste trop cher pour les exploitants. Par saison et par récolte, il arrive que le petit maraîchage apporte autour de 150.000 FCFA de bénéfice. Encore trop maigre pour prétendre dépenser pour la mécanisation.

Les poulets d’Imvouba rares sur le marché mais présents chez des rôtisseurs

À l’instar d’un point de vente situé vers « La pointe hollandaise », à Ouenzé, dans le 5ème arrondissement, le poulet de chair d’Imvouba est difficile à trouver. Pour des Congolais qui attendent beaucoup de ces villages agricoles, la satisfaction est en demi-teinte. La rareté des produits d’Imvouba laisse perplexes ceux qui conçoivent l’existence d’un village dédié à la production des poulets de chair. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas avec une moyenne annuelle de 200.000 poulets qu’Imvouba règlera le déficit en consommation de volaille à Brazzaville.  D’ailleurs, explique la coordination nationale du projet, il faudra attendre la réalisation d’autres villages, comme ceux de Pointe-Noire qui seront prochainement lancés dans le cadre de ce programme, pour espérer voir suffisamment de produits sortis de ces fermes.

Malgré cela, la coordination nationale des villages agricoles assure que « les Congolais mangent le poulet d’Imvouba sans parfois le savoir ». Jean Claude Elombela évoque des restaurants comme « Irène Banda » à Bacongo, dans le 2ème arrondissement de Brazzaville, où la plupart des poulets rôtis viennent d’Imvouba. La majorité de ces poulets se trouve chez les rôtisseurs ouest-africains à travers la ville.

Rare sur le marché et contré par une concurrence sans appel des poulets importés, le poulet d’Imvouba est à peine connu. L’État pense à redoubler d’efforts. « Nous travaillons pour rehausser les chiffres en surveillant mieux les poulaillers, en améliorant la vaccination afin de réduire le taux de mortalité observé en 2014. Mais aussi en travaillant sur la qualité de l’aliment », promet Jean Claude Elombela.

 

Quentin Loubou
Légendes et crédits photo : 
Un poulailler avec des poulettes prêtes a être vaccinés/Adiac