Auteur d'une prestation très aboutie, et saluée par l'ensemble de la presse belge, Francis N'Ganga s'est confié aux Dépêches de Brazzaville à l'issue du match de Ligue Europa gagné par Charleroi face au Beitar Jérusalem : sa forme du moment, sa première européenne, la polémique autour de son forfait face au Kenya, ses espérances pour la sélection, le latéral gauche congolais n'élude rien
Les Dépêches de Brazzaville : Francis, 5-1 contre le Beitar et un public aux anges : Vingt-et-un ans après sa dernière participation européenne, le Sporting Charleroi n'a pas manqué son retour
Francis N'Ganga : On a un super public et on voulait vraiment leur offrir une belle reprise pour cette saison 2015-2016. On voulait gagner pour eux, mais c'est vrai que 5-1, c'est beau, très beau. Et pas du tout immérité au vu du match.
LDB : À titre personnel, tu as livré une très grosse prestation, reconnue par toute la tribune de presse, avec une première période durant laquelle tu étais infranchissable.
F.N : Je crois que j'ai retrouvé mon meilleur niveau, après une période difficile, ponctuée par des blessures à répétition. Pour ceux qui ne suivent pas ma carrière depuis longtemps, c'est peut-être une surprise, mais pas pour les autres. Je savais que ça reviendrai et que je retrouverai ce niveau qui était le mien.
LDB : Qui était le tien avant tes croisés ?
F.N : Oui, avant ma rupture des ligaments croisés en octobre 2013. ça a été long, mais je n'ai rien lâché, malgré les épreuves difficiles que j'ai traversées.
LDB : Tu n'as plus le brassard depuis fin 2014, mais après l'égalisation du Beitar, on t'a vu mobiliser tes partenaires, leur parler...
F.N : J'ai perdu mon brassard en revenant blessé de sélection, lors du match en Afrique du Sud (0-0 lors de la 4e journée des éliminatoires pour la CAN 2015). Mais je n'ai pas besoin du brassard pour assumer mon rôle de leader. J'entame ma quatrième saison au Sporting et je fais ce que le staff attend de moi sur le terrain. Tout simplement.
LDB : Après une première période impeccable en défense, on t'a vu plus offensif après la pause, avec plusieurs montées et centres. Finalement, tu as pu exprimer toutes tes qualités sur ce match.
F.N : On avait bien étudié leur jeu, et on savait que quand ils pratiquent leur meilleur jeu, ça peut aller très vite, y compris sur les côtés. Du coup, je me suis efforcé de ne pas laisser le moindre espace en première période. Après l'expulsion de Dasa, pour une grosse faute sur moi (45e+3), puis celle de Pablo (76e), on a eu davantage d'espaces, j'en ai profité. Je retrouve mes sensations et mon jeu : partir de derrière, offrir des solutions, centrer.
LDB : Tu étais forfait pour le match Congo-Kenya, en juin. Est-ce que finalement ce repos forcé n'a pas été bénéfique, puisque tu n'avais pas eu de vraie coupure depuis ta rupture des ligaments : rééducation jusqu'en avril 2014, préparation spécifique entre avril et juillet 2014, saison 2014-2015 entrecoupée de la CAN... N'était-ce pas un mal pour un bien de bénéficier de ce mois et demi de repos ?
F.N : Cette question va d'abord me permettre de mettre les choses au point : je sais qu'il y a eu des polémiques sur ma blessure, disant que je faisais semblant. C'est faux et je tiens à rappeler que je suis un fidèle de la sélection : je suis toujours venu, même quand l'organisation n'était pas ce qu'elle est devenue depuis 2012. Depuis ma première sélection, j'ai toujours été au garde-à-vous, j'ai toujours reçu mes convocations avec fierté, même quand ça me valait des tensions avec mes clubs. J'aurais préféré être là pour aider mes coéquipiers face au Kenya, mais je ne pouvais pas. Après, oui, je dois admettre que ces quelques semaines de coupures m'ont fait du bien physiquement.
LDB : En sélection congolaise, il y a de la concurrence au poste de latéral gauche. Cette aventure européenne, c'est le meilleur argument pour s'affirmer dans la hiérarchie ?
F.N : Objectivement, je pense qu'effectivement, réaliser de bonnes prestations sur la scène européenne ne peut être que positif. Au même titre que jouer les premiers rôles en championnat belge. Plus généralement, durant cette période difficile, j'ai eu l'impression que certains me sous-estimaient ou ne croyaient pas en moi. Peut-être parce qu'ils ne m'avaient pas connu avant ma blessure. C'est comme ça, je ne suis pas rancunier. Une seule chose compte pour moi : que les Diables rouges aillent bien et participent à la CAN 2017 au Gabon.
LDB : Ce match était aussi une nouveauté pour toi, puisque tu entames ta première campagne européenne.
F.N : Oui. Et je peux te dire qu'on y prend vite goût. L'Europe, c'est un objectif pour tout joueur ayant un minimum d'ambition. Et même si ce n'est pas la grande Ligue des champions, participer à la Ligue Europa est gratifiant. A nous de faire en sorte que ça dure, en passant les deux tours préliminaires pour se qualifier pour la phase de groupe.
LDB : Ce soir, on a vu un Beitar Jérusalem plus dangereux en tribunes que sur le terrain. Peut-on considérer que la qualification est acquise avec ce score de 5-1 ?
F.N : Bon, il y a les formules d'usage, comme « dans le football, on est sûr de rien, tout peut se passer ». Donc, on ne va pas les prendre de haut. A domicile, ils sont performants et le contexte est assez hostile dans leur stade, avec un public très chaud. Quatre buts d'avance, c'est bien. Mais bon, j'ai déjà connu des cas similaires en sélection où ça ne s'était pas bien terminé. Alors je reste sur mes gardes...
LDB : Dans dix jours (ndlr : vendredi 24 juillet), la Jupiler League reprend ses droits : Tu n'y es plus le seul Diable rouge, puisque Yannick Loemba (Ostende) et Marvin Baudry (Zulte-Waregem) t'ont rejoint. Ça promet quelques matchs sympas...
F.N : Oui, ce sont des dates qu'on coche dans le calendrier. En tout cas, je suis ravi pour eux, c'est une vraie progression et c'est positif pour les Diables rouges. Dès le mois de décembre, j'avais conseillé à Marvin de rejoindre Zulte, car le championnat belge est de bonne qualité, même s'il manque parfois de reconnaissance. Pourtant, quand Lokeren bat Lille 4-1 ou que Zulte-Waregem a disposé de Nice (2-1), c'est qu'il y a de la qualité.
LDB : Ailleurs en Europe, Massengo s'est engagé en D1 portugaise, Litsingi au Sparta Prague, Bouka Moutou, et peut-être Doré, montent en Ligue 1, Ndinga a signé en Russie. Rarement, les Diables rouges ont compté autant d'éléments en premières divisions européennes. C'est encourageant pour la sélection ?
F.N : Oui, bien sûr. On a besoin d'avoir des éléments qui évoluent au meilleur niveau pour rivaliser avec les meilleures équipes. Tous les joueurs que tu viens de citer vont côtoyer le haut niveau chaque week-end et ça ne peut être que bénéfique pour l'équipe. D'autres devraient faire de même dans les prochaines semaines. J'espère qu'un jour on pourra avoir un groupe entièrement constitué d'éléments évoluant en première division, avec des garçons qui jouent régulièrement les Coupes d'Europe, à l'image de la RDC, de la Côte d'Ivoire, du Cameroun, de l'Algérie. Ça serait une vraie avancée pour le football congolais.
En mai 2014, Frédéric Renotte, le préparateur physique de Charleroi, faisait le point dans nos colonnes sur la blessure de Francis N'Ganga. Après le match contre le Beitar, il a accepté d'évoquer le cas de l'international congolais.
Les Dépêches de Brazzaville : Monsieur Renotte, il y a plus d'un an, vous souligniez que retrouver son meilleur niveau pouvait être très long après une rupture des croisés. Pensez-vous que Francis l'a enfin retrouvé ?
F.N : Je pense qu'il avait presque retrouver son meilleur niveau lors des play-offs, en fin de saison dernière, ce qui prouve bien que c'est un processus très long. Et ce soir, nous avons effectivement vu un très bon Francis, qui a retrouvé ses sensations, qui a du rythme. Je crois que le gros changement réside dans sa mobilité dans sa manière de retourner, ce qui lui permet de mieux anticiper.
LDB : Et d'intercepter beaucoup de ballons, comme aujourd'hui ?
F.R : Oui, bien sûr. Vous savez, corps et esprit vont de paire. S'il anticipe, c'est qu'il est plus frais, qu'il analyse mieux ce que fait l'adversaire. Avant il se battait contre lui-même, maintenant, il se bat contre l'adversaire. C'est beaucoup mieux.
LDB : On l'a vu très remonté après l'égalisation israélienne : il a parlé à ses coéquipiers, encouragé, motivé. C'est aussi un signe de son renouveau ?
F.R : Oui. Chacun a sa personnalité et la façon de l'exprimer. Francis est un leader. Mais je trouve que désormais, il contrôle mieux son égo. Il ne m'en voudra pas de le dire, car c'est un grand pas vers l'avant qu'il a effectué, mais je le trouve aujourd'hui davantage au service du collectif. C'est très positif.
LDB : L'an dernier, vous nous aviez également dit qu'une telle blessure changeait le joueur, mais aussi et surtout l'homme. C'est ce que vit Francis ?
F.R : A long terme certainement. Après, c'est une question philosophique : faut-il souffrir pour grandir ? La question est ouverte mais je pense que oui.