C'est l'avis d'un expert africain, Idriss Linge, qui ne s'explique pas le débat politique sur un phénomène complexe qui touche plusieurs nationalités et plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. Selon lui, la tentative française d'identifier une immigration politique et économique tend à se rapprocher du vrai problème des Africains qui "fuient une région sans espoir pour eux".
À en croire Idriss Linge, le coeur du problème des flux migratoires réside essentiellement dans les raisons économiques. Pour l'Europe, principale destination des navires de passeurs clandestins, il y a une urgence de se pencher sur les flux financiers qui vident l'Afrique, ajoute-t-il. Se basant sur les statistiques de la Banque mondiale (BM), l'expert relève que la région a connu une forte croissance ces deux dernières décennies.
En effet, beaucoup de pays ont réussi à se démarquer, notamment les pays pétroliers comme le Nigéria, première puissance économique régionale, et l'Angola, troisième puissance économique régionale. À côté, il y a d'autres pays dotés également des ressources pétrolières et minières, notamment le Cameroun, le Congo Brazzaville, la RDC, la Zambie et le Mali. Bien qu'il y ait des progrès économiques, ces pays ont vu doubler paradoxalement le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Idriss Linge parle du passage de 211 millions à 415 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté entre 1981 et 2011. "L'Afrique subsahararienne est encore la région où les revenus effectifs moyens ne dépassent pas les 1050 dollars américains par an".
Il est inutile de rappeler que cette région n'est pas arrivée à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Estimé à 520 milliards de dollars américains, ce programme a connu des difficultés de mise en oeuvre en Afrique à cause du gap de ressources mobilisables en interne et de l'assistance extérieure insuffisante. En fait, poursuit-il, l'essentiel des pays de la région subsaharienne a pu nouer avec la croissance économique au lendemain des annulations des dettes et de la hausse des prix des matières premières.
Toutefois, l'on observe une forte disparité entre croissance économique et développement des pays de la région. Plusieurs rapports internationaux, notamment celui de la Cnuced, l'ont relevé. "Certains analystes africains et même occidentaux ont tôt fait d'accuser les systèmes politiques de ces pays, où des chefs d'État restent très longtemps au pouvoir et verrouillent l'appareil politique". Le grand défi est la structuration des économies africaines à travers des investissements qui servent à renforcer la base de production. Au cas contraire, s'inquiète-t-il, l'économie africaine restera dominée par la rente et la croissance économique sera certes au rendez-vous, mais pas pour pour les Africains.
Il est prouvé que l'Afrique perd de l'argent en raison des flux financiers circulant de manière illicite et des investissements extérieurs inadaptés. " Selon le rapport Honest Account, les multinationales auraient rapatrié chaque année, sur la décennie précédant 2013, une moyenne de 46 milliards de bénéfices, tout en laissant un passif environnemental à la charge des Africains de 11 milliards pour l'adaptation aux changements climatiques et de 26 milliards pour la réduction des émissions de carbone".
Au-delà, il faut également prendre en compte les évitements fiscaux officiels inestimés à ce jour. Il est incroyable de constater que les pays africains, en manque de ressources pour créer des emplois, rivalisent quasiment pour offrir les facilités nécessaires aux investisseurs étrangers. Une réponse rapide serait de pointer un doigt accusateur en direction des multinationales. "Mais ces entreprises agissent très souvent pour le compte des bénéficiaires invisibles, à savoir les fonds d'investissements boursiers et directs. C'est le véritable trou noir des flux financiers sortant de l'Afrique, licites ou illicites". Il est indispensable que les investissements générent le maximum de rendement pour les populations africaines.