Le dérèglement climatique a des répercussions sur les flux migratoires internationaux. François Gemenne, chercheur et spécialiste des questions liées aux migrations et à l'environnement, l’a rappelé le 26 octobre à Paris lors d’une rencontre co-organisée par le Comité 21, le Club France Développement et l'organisation internationale pour les migrations.
Chaque année, 26 millions de personnes sont déplacées par des catastrophes naturelles, soit une personne par seconde, a indiqué le spécialiste, en précisant qu’il y a en réalité au fil des années de nouvelles personnes qui sont déplacées par des catastrophes naturelles que par des guerres, des violences et des persécutions. « À ce chiffre, il faut ajouter tous ceux qui sont déplacés à la suite des impacts plus progressifs des changements climatiques : désertification, hausse du niveau des mers, etc. et qui ne sont pas du tout comptabilisés. C’est un chiffre qui va aller en s’amplifiant au fur et à mesure que les impacts des changements climatiques vont devenir plus sévères, plus intenses, plus violents et, à fortiori, si nous n’arrivons pas à contenir ce réchauffement climatique dans l’enveloppe des 2° d’augmentation de la température moyenne d’ici la fin du siècle », a expliqué François Gemenne. Pour ce dernier, l’environnement est aujourd’hui un des principaux facteurs des migrations et de déplacement. « Le changement climatique est déjà une catastrophe tous les jours pour des millions de personnes à travers le monde. Ils perdent leurs cultures, leurs maisons, des membres de leurs familles ».
En Afrique, les causes environnementales du déplacement des migrants sont notamment dues aux problèmes de désertification et de dégradation des sols à la fois dans les pays du Maghreb et dans les pays de l’Afrique de l’Ouest. Cela va pousser une partie des migrants vers les villes. « Les campagnes vont se dépeupler de plus en plus et les villes africaines vont voir arriver des migrants qui vont souvent être hébergés dans des bidonvilles ou en bordure des villes. Ce qui constitue un défi en termes de capacité d’accueil, de logement, d’emploi, de scolarité ou encore de transport. Ces migrants, ne trouvant pas d’emplois ou de bonnes conditions de vie dans les villes, vont tenter d’aller vers l’Europe ou vers un autre pays d’Afrique. En Afrique de l’ouest 58 % des mouvements de migration ont lieu à l’intérieur de la même région. C’est un des taux les plus élevés au monde», explique François Gemenne.
Les pays du Maghreb comme destination.
Par ailleurs, prévient François Gemenne, sous l’effet du changement climatique et de la désertification dans le pourtour méditerranéen, les pays du Maghreb doivent se préparer à devenir des pays de destination de certains migrants venus d’Afrique subsaharienne. « Il faudra une coopération beaucoup plus forte entre les pays du Maghreb et l’Union européenne sur ces questions. On pourrait aller plus loin en intégrant les pays du Maghreb dans l’Union européenne». En outre, souligne le chercheur, en Afrique de l’Ouest, il existe également un problème de diminution des ressources halieutiques qui empêchent les pêcheurs de subvenir aux moyens de leurs familles. Par conséquent, ces derniers vont utiliser leurs bateaux de pêches comme bateaux d’immigration vers les îles Canaries notamment. Ce qui constitue une situation dangereuse car ces embarcations ne sont pas du tout adaptées à ce type de traversée.
Hausse de température de +4°
Par ailleurs, pour François Gemenne, même si l’objectif est de conserver la température moyenne mondiale à +2°, le monde doit se préparer à une hausse de la température de l’ordre de +4° au moins d’ici la fin du siècle. Une situation qui met en évidence deux enjeux fondamentaux : l’habitabilité et le seuil de rupture ou Tipping point en anglais. Pour ce qui est de l’habitabilité, le chercheur explique qu’aujourd’hui il est possible d’habiter un peu partout dans le monde car le corps humain résiste à peu près à toutes les températures que l’on peut trouver dans le monde, en dehors de quelques endroits très reculés en Antarctique, dans le nord de la Sibérie ou dans le Sahara. « A +4° cela ne sera plus le cas car c’est une moyenne qui va cacher des augmentations de température qui pourront atteindre 10, 11 ou 12 degrés. Déjà actuellement pour +2°, pour un pays comme l’Espagne cela veut dire +5°. Donc, ce sont des écarts de températures très importants. Dans beaucoup de pays, notamment en Afrique subsaharienne, +4° équivaut à +7°, +8°, +9°. Cet été au Pakistan, la température a atteint 49 °. C’est une température que le corps humain n’est quasiment plus capable de supporter. Cela veut donc dire qu’à +4°, certaines zones du monde ne seront plus habitables », affirme le spécialiste. Pour ce dernier, dans ce cas de figure, il va falloir discuter de manière sereine et rationnelle sur la distribution géographique de la population mondiale. « Le problème est que lorsqu’il faut désigner des zones où il est possible d’habiter et là où il n’est pas sûr que les gens habitent cela ne se passe pas très bien. C’est un défi auquel nous ne sommes pas prêts du tout ».
Éviter la fonte de la calotte polaire arctique
Pour ce qui du seuil de rupture ou « Tipping point », François Gemenne rappelle que l’une des raisons pour lesquels l’objectif de 2° a été fixé est qu’à ce niveau de température, les climatologues pourraient, plus ou moins, prévoir les impacts. « On peut garantir que l’on n’atteindra pas ce seuil de rupture, c'est-à-dire le moment où le climat bascule pour devenir hors de contrôle avec des changements brutaux et absolument irréversibles du système climatique. Mais au-delà de 2°, on ne peut plus le garantir. Le seuil de rupture qui fait peur aujourd’hui à tous les climatologues c’est la possibilité d’une fonte totale de la calotte polaire arctique. Si cette dernière fondait complètement, la hausse du niveau de la mer serait de six mètres environ. Cela veut dire que des pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou le Bangladesh disparaissent complètement», affirme le chercheur.
S’inspirer de l’initiative Nansen
François Gemenne déplore que souvent la question des réfugiés climatiques ou de migrations environnementales soient considérée comme une sorte de menace lointaine et future, comme quelque chose que l’on pourra éviter si on a un bon accord à Paris. « C’est un leurre. C’est déjà une réalité aujourd’hui. Si nous voulons véritablement affronter le changement climatique, la première chose à faire est d’abandonner l’espoir qu’il sera possible d’éviter la catastrophe grâce à un bon accord conclu à Paris. » Pour le chercheur, En termes de solutions politiques, un des rares succès de la coopération internationale récemment est l’initiative Nansen mise en place par la Norvège et la Suisse. Cette initiative a pour objectif une meilleure protection des personnes déplacées à l’extérieur de leurs pays à la suite de la dégradation de l’environnement. Pour François Gemenne, la gouvernance mondiale devrait s’inspirer de ce modèle.