En cette saison des pluies, le Congo se partage entre ceux qui reçoivent trop d’eau et ceux qui contemplent avec agacement un ciel désespérément sans nuage.
Il ne passe pas de semaine qui n’apporte à Brazzaville sa pluie abondante. Pratiquement tous les deux jours, la capitale est noyée sous les eaux venues, drues, du ciel. Et plus d’un Brazzavillois maudit la conséquence de ces ondées qui gonflent les eaux des plus petites rigoles. La Mfoa, la Madoukou, la Tsiémé et la Mfilou ne sont plus les sales et indolentes rivières de toujours ; elles se transforment en furies qui s’infiltrent dans les parcelles et y déposent tous les déchets d’une ville en dynamisme.
Il faut alors éponger, évacuer, colmater, bourrer les rives de dérisoires sacs de sable ou même de pneus anciens qui seront emportés ou ensevelis sous le lit des détritus en tous genres à la première pluie sérieuse. Ce travail est agaçant pour qui sait avoir bâti en zone inondable ou en terrain en pente où, exemple du Mont Barnier, des maisons sont laissées en équilibre instable après la colère d’eaux de ruissèlement qui se frayent le passage qu’elles veulent, emportant la terre et les talus avec elles.
Ou alors, autre effet pervers déjà mille fois signalé par le passé à Talangaï et au quartier Simba Pelle : le sable ravi aux voisins en hauteur vient s’accumuler aux innocents en vallée dont les habitations deviennent des demeures de Lilliput ! Des maisons rapetissent, leurs occupants sont dans l’impossibilité d’ouvrir la porte au lever ! Vraiment agaçant : car les effets de ces pluies à répétition sont en contraste d’un quartier à l’autre. Il y a ceux chez qui les pluies enlèvent de la terre, ceux chez qui elles en déposent contre leur gré : ça grogne chez tous !
Mais ces contrastes sont également transposables à l’étendue du pays tout entier, pas seulement à Brazzaville ou à Pointe-Noire. Dans la Vallée du Niari, en effet, les paysans regardent presqu’avec envie ces images de Brazzaville sous les flots et se plaignant de trop d’eau ! Depuis octobre, il n’est pas tombé plus d’une pluie sérieuse dans un tronçon de périmètre courant de Dolisie à Loulombo. Les pays sont au désespoir. Les premières petites pluies ont « driblé » le maïs et l’arachide qui ont poussé avec la rapidité de la bonne saison.
Puis, sans les pluies de suite qui donnent le vrai coup de fouet aux cultures et les transforment en ce beau spectacle de verdure vigoureuse le long du chemin de fer, tout s’est ratatiné, réduit en des touffes rabougries qui sont visiblement à la peine. A Nkayi, les paysans ont leur coupable tout désigné : la Saris ! La société sucrière empêcherait la formation des nuages par l’épandage de ses produits (herbicides ou fertilisants) par avion. L’accusation est mince, car la société sucrière a elle aussi besoin d’eau pour ses champs de canne à sucre.
Alors à quand la pluie sérieuse dans la zone s’interrogent, houe à la main, les planteurs d’arachide ou de haricot ? Si l’eau du ciel tarde autant qu’en sera-t-il des récoltes : dans quel état seront les cultures en mars et avril prochain ? Dans quelle quantité pourra-t-on récolter de l’arachide, du tarot, de l’igname, de la patate douce ou même de cette belle et juteuse tomate qui a fait la renommée de Loudima ? L’inquiétude est chez tous. Et pendant ce temps à Brazzaville, on peste contre le trop d’eau. Faut-il intervertir les pôles ?