Dany Laferrière : « une société qui a confiance en elle accepte l’autre »

Samedi, Décembre 5, 2015 - 09:52

Le 20 novembre dernier, Dany Laferrière a répondu présent à l’invitation du Conseil des Relations Internationales de Montréal (CORIM) à venir s’exprimer, puis discuter, autour du thème « être immigré ou comment s’infiltrer dans une nouvelle culture ».

L’écrivain et Académicien a interrogé sa propre expérience pour mener à bien cet échange avec le journaliste québécois Normand Baillargeon. Né en 1953 en Haïti, la dictature montante de Duvalier lui fait quitter Port-au-Prince à l’âge de 23 ans, pour Montréal où il vit encore. Le Sud vers le Nord, un trajet parcouru chaque année de diverses manières par des millions de personnes, très souvent pour une immigration longue et définitive. Selon Laferrière, tout individu a été ce nouvel arrivant: « un nouveau-né est un immigré, il doit apprendre les codes » mais pas seulement ni en tout temps : « Il y a un temps où il ne faut pas apprendre, mais vivre pour ne pas ingurgiter les clichés. Il est urgent de ne pas chercher à savoir ». L’homme de lettres propose avec philosophie un lien fort à deux échelles, un précepte sage d’éducation primaire, plus que jamais utile à rappeler en ces temps troublés : « Naturellement une société qui a confiance en elle accepte l’autre. Il faut laisser les gens entrer, faire et laisser faire des erreurs  ».

Danny Laferrière demande à  « Retourner les clichés comme un galet », soit ne pas ingurgiter les mœurs et pratiques servis spontanément : « On projette toutes sortes d’images lorsque l’on arrive dans un nouveau pays. Et, si la personne ne concorde pas à l’image, elle triche. Non, la personne ne triche pas, c’est simplement que vous ne la connaissez pas. Pour la connaitre, j’ai mis 40 ans », confie-t-il. Il poursuit  « Immigrer, c’est d’abord partir, comme l’enfant, et pénétrer une forêt inconnue le plus loin possible. Une fois que l’on a pris la route, il faut accepter qu’on ne retournera plus. Parce qu’on ne retourne pas. Les choses ne se figent pas. Le pays lui-même change sans cesse ».

Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo

Le sujet dépoussiéré par Mr Laferrière fait écho à son dernier ouvrage Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, un livre portant une réflexion sur l’exil, l’arrivée dans un nouveau pays. L’écrivain rencontre Mongo, son jeune alter ego, « un après-midi d’été (…) sur la rue Saint-Denis ». Il lui demande « Comment faire pour s’insérer dans cette nouvelle société ? » Les deux hommes échangent, l’écrivain raconte le Québec qu’il connait depuis 40 ans, offre des mises au point historiques, sociologiques, culturelles, linguistiques. On le suit au gré de ses anecdotes, de ses chroniques à la radio, de ses sujets de réflexion, de ses prises de notes et discussions au café avec Mongo ou la jeune fille qu’il convoite. Laferrière progresse au contact de cette jeunesse et ouvre son intimité, déclare sa flamme au Québec tout en affirmant ses colères et frustrations. Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, soit tout ce qu’on ne te dit pas mais que tu dois savoir des autres, les codes de cette nouvelle société assimilés par l’expérience, pour le meilleur et pour le pire.

Dany Laferrière signe un livre essentiel pour comprendre l’immigration et l’immigré, sensiblement et de l’intérieur. Il donne des réponses claires à des questions intimes, en sagesse. Ce manuel de survie vient tout droit de l’école de la vie, écrit avec une simplicité et clairvoyance fascinante. Il explique lui-même ces qualités en définissant son rôle d’ « observer les gens et leur remettre sous les yeux des choses qu’ils croient naturelles et qui ne sont que des habitudes particulières à une société donnée ». Dany Laferrière se porte en éveilleur de conscience tout en démystifiant avec un humour implacable les codes de sa terre d’adoption.

Morgane de Capèle
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Dany Laferrière : « une société qui a confiance en elle accepte l’autre »; Crédits photo: DR
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