La fête de la nativité n‘a pas été totale à Kinshasa. Elle a été célébrée, pour le moins, à deux vitesses dans une ville où le clivage entre les riches et les pauvres ne fait que se corser.
Le contraste était frappant en cette journée du 25 décembre. Entre l’ambiance festive et bruyante des quartiers huppés et la morosité déconcertante des secteurs laissés-pour- compte, Kinshasa cherchait véritablement à imprimer son identité. Une partie de la ville a festoyé comme il se doit pendant qu’une autre a manqué de tout jusqu’au plus élémentaire. La jouissance ayant caractérisé quelques sites stratégiques a tenté vainement de dissimuler le malaise social qui gangrène la ville depuis quelques temps. L’autorité urbaine a mis le paquet, avec le concours de quelques partenaires, pour embellir quelques sites stratégiques à l’instar de la Place de la Gare où trône désormais un grand sapin de Noël. La fontaine a repris avec ses jets d’eau au grand enchantement des visiteurs.
Le site revisité à la faveur de l’événement aura dégagé un tel magnétisme et une telle force d’attraction, fruit d’une décoration réussie, que plusieurs familles kinoises s’y sont ruées le jour de la Noël. Quelques sociétés de la place en ont profité pour réaliser quelques bonnes affaires en vendant leurs produits. Ballons d’air et jouets en main, les enfants qu’accompagnaient leurs parents ont été les plus gâtés en cette journée illuminée par la naissance du petit Jésus. Les supermarchés qui s’amoncellent le long du boulevard du 30 juin étaient pris d’assaut par des visiteurs en quête d’un gadget pour leur rejeton. C‘est à la Place des évolués, plus à l’intérieur de la commune de la Gombe, que les kinois les plus friqués se sont donnés rendez-vous. Transformé en un lieu de réjouissance populaire avec sa tribune, ses ornements et ses kiosques, ce site aura symbolisé, le temps d’un éclair, le dynamisme d’une capitale cherchant à renouer avec sa tradition de ville-lumière. « Je n’ai pas eu le temps de m’asseoir ni de prendre un verre tant il y avait du monde. J’ai résolu de repartir avec ma fiancée pour chercher un endroit un peu plus calme », commente un ambianceur impénitent.
C’est comme si tout Kinshasa s’était retrouvé dans ce coin perdu à la lisière du fleuve Congo. Les compagnies brassicoles ont saisi l’opportunité pour se mettre en relief. Et dans cette promiscuité ambiante où la licence était la règle, difficile de faire prévaloir la morale et l’éthique. Ceux qui n‘avaient pas trouvé leur compte à cet endroit ont vite gagné le boulevard Triomphal attenant au Palais du peuple, ou encore la Foire internationale de Kinshasa (ouverte pour la circonstance), ou mieux, l’Echangeur de Limete illuminé comme jamais auparavant. Tout y était pour faire le bonheur des Kinois qui y ont laissé libre cours à leurs fantasmes jusqu’aux petites heures de la matinée.
En mode méditation
Cette ambiance festive tranche avec la morosité de certains bas quartiers de Kinshasa où l’on a noté un manque d’engouement pour ces réjouissances. Dans les cités périphériques où déjà la présence du courant électrique tient d’une gageure, de nombreuses familles ont passé leur fête de Noël dans le noir. Mis à part quelques animations en solitaire des bambins hystériques et insouciants à grand renfort des pétards, les adultes sont restés plutôt pensifs. « Cette année 2015 chez moi, les enfants n’ont pas eu des habits neufs pour la fête de Noël. Je manque d’argent. Je suis un fonctionnaire retraité. Je touche à peine 12.000 FC (environ 13 dollars) chaque mois. Qu’est-ce que je peux faire avec ça ? », confie un parent. Un cas qui est loin d’être isolé et qui s’insère dans un contexte social de paupérisation généralisée telle que reflétée par le peu d’intérêt accordé à cette fête par plusieurs familles de revenu modeste.
Juste un petit bol de fufu et des légumes assorties de chinchard auront constitué l‘essentiel du repas dans les quelques rares familles privilégiées bénéficiant des appuis extérieurs. Pour d’autres, Noël aura été plus qu’ennuyeux et insipide. C’était un jour ordinaire sans réel enjeu. Et comme pour noyer leurs soucis, la plupart ont investi les lieux de cultes pour rendre gloire au Dieu-créateur. Des jeunes plutôt branchés ont préféré s’éloigner de leurs parents pour fêter en cercles restreints avec des amis en trompant leur conscience autour d’un verre de Whisky. Et pour couronner ce tour d’horizon, la désolation et la tristesse ont, par ailleurs, visité certaines familles kinoises amputées d’un de leurs membres. Une façon de certifier le fait que la mort ne choisit ni le moment ni l’heure et s’abat, n’importe où et n’importe quand, au grand dam des familles éplorées. Dans les auspices de vieillards, les orphelinats et les hôpitaux, des gestes de générosité se sont fait désirer en ce jour de Noël de la part des nantis et autres « Grands prêtres » qui finalement donnent l‘air de ne vivre que pour eux-mêmes et pour leurs propres familles.