Avec le développement de l’économie numérique devenu crucial en ce qu’il entraîne en même temps le développement et la croissance des autres secteurs d’activités, des voix s’élèvent pour proposer, au Congo, la création d’un ministère en charge de l’industrie du numérique. Cette mutation devrait, semble-t-il, pour des acteurs du secteur, être concrétiser au moment où le Congo va se doter de nouvelles institutions. Interrogé à ce sujet, Luc Missidimbazi, ingénieur télécom, Directeur des Nouvelles Technologies au ministère des postes et télécommunication et président de Pratic, une association de professionnels des usagers congolais des TIC à travers le monde, donne son avis.
Les Dépêches de Brazzaville. Il y a quelques semaines vous avez posté un tweet dans lequel vous vous prononcez pour la création d’un ministère en charge du numérique. Vous emboitez donc le pas à ce plaidoyer. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ?
Luc Missidimbazi : La question est très pertinente, en effet le numérique autrefois axé sur la technologie et l’usage a pris une place très importante dans tous les domaines d’activité tant individuel, institutionnel, des entreprises que du secteur public.
Le numérique a permis l’édification d'une société de l’information inclusive et exige de nouvelles formes de solidarité, de partenariat, d’entreprenariat et de coopération entre les gouvernements et les autres acteurs, c’est-à-dire le secteur privé, la société civile et les organisations internationales. Elle a fait évoluer les principes fondamentaux juridiques, économiques, sociétal, financier, communication, sécurité etc …C’est dire combien il faut aujourd’hui revoir la gouvernance de tout ce secteur au sein d’un grand ministère, non seulement d’appui aux actions gouvernementales mais aussi jouant un rôle structurant de l’économie et artisan du développement national. Les aspects régaliens de l’Etat relatif à la souveraineté et la sécurité sont aussi impactés par le numérique, son champ d’application non seulement devient plus large mais aussi complexe.
L.D.B. La création d’un tel département entrainera-t-il de facto la disparition du ministère des Télécommunications ?
Luc Missidimbazi : L’écosystème du numérique est structuré en trois couches : infrastructures, économiques et sociétales. Dans la compréhension d’un ministère des Télécommunications, on n’aborde pas complétement les deux autres couches. La dénomination n’est certes pas les attributions, mais elle tant à limiter les prérogatives. Les télécommunications au sens du terme signifient ministère d’Airtel, Congo télécom, MTN et Azur qui sont les seuls acteurs télécommunications. Or on voit bien que le secteur est bien plus large que ça aujourd’hui.
L.D.B. Est-ce que la rénovation de la gouvernance de l’écosystème du numérique suffit-il comme argument a ce plaidoyer ?
Luc Missidimbazi : Non, c’est la vision et la volonté de mettre au centre du développement du pays une nouvelle forme de gouvernance et sa structuration pour intégrer des mécanismes modernes de développement. L’écosystème numérique du numérique implique une action transversale de tout un gouvernement. Si on considère que le numérique est le catalyseur du développement pour un pays émergent, il faut un ministère fort doté de moyens importants et de pouvoir exécutif fort pour encadrer et réglementer tous les aspects liés au numérique.
L.D.B. D’aucun estime que le projet de création d’une agence du numérique doit lourdement peser sur la création de ce ministère…
Luc Missidimbazi : La problématique de l’Agence du numérique est un autre sujet. Elle servira à combler un vide juridique. En effet, la gouvernance du numérique nécessite une structure en charge de tout ce qui est liée aux services liés à Internet. Cette structure n’existe pas d’où la difficulté de mettre en place un cyberespace (e-gouv, e-education, e-securité …) et le service universel. Cette Agence sera un organe technique opérationnel pour mettre en place et gérer le cyber espace congolais. Cependant le ministère lui intégrera tous les aspects économiques et liés au développement.
L.D.B. A quel niveau se trouve ce projet dont on a beaucoup évoqué ultérieurement ? l’agence en création aura-t-il les mêmes privilèges que l’ARPCE ?
Luc Missidimbazi : Après des travaux sur le sujet l’année dernière, nous avions tout transmis au gouvernement qui a tout mis dans les circuits de validation du Conseil des ministres puis à l’Assemblée. L’ARPCE est un régulateur des acteurs et marchés des communications électroniques et de la Poste. L’Agence du numérique ambitionne le développement du numérique en développant le cyberespace congolais (infrastructure, cyber-securité, e-administration, e-education, e-santé …) pour meilleur un usage Internet pour les institutions et les citoyens.
L.D.B. Et si l’Etat venait de faire de ce ministère, une fois crée, un département délégué comme cela a été le cas dans quelques pays. Aura-t-il les chances de conduire réellement ses missions ?
Luc Missidimbazi : Bien évidement qu’il aura du mal à mettre en place une politique stratégique pour un meilleur développement, si ce département n’a pas la capacité d’influer sur les choix des autres secteurs comme l’éducation, l’économie, la sécurité, la diplomatie, la santé ou autre. Peu importe la forme organique, il faut une structure forte et influente.