Nous sommes au plus chaud de la seconde guerre mondiale. La France est prise dans l’étau de la wehrmacht. Le maréchal Pétain capitule et signe l’armistice de la France à Rethondes . Le général De Gaulle alors sous- secrétaire d’Etat à la défense s’enfuit en Grande Bretagne. Lorsque ce géant rencontre Sir Winston Churchill pour la première fois, l’échange n’est pas des plus courtois. Emmitouflé dans un costume à carreaux sur une chemise à raillures et une cravate rouge a pois, le général français dit ouvertement à son hôte, qu'il ignorait que Londres ressemblait à un grand cirque. Et monsieur le Premier ministre de répondre « je n’aimerais pas m’habiller comme un soldat inconnu ». Voilà lancée le 16 juin 1940, la problématique sur le code vestimentaire moderne.
En effet, c'est 38 ans après qu'arrive la réponse. Ceci par l’émergence d'une Société des ambianceurs et des personnes élégantes dit la sape. Ce phénomène prit corps dans les quartiers populaires de Brazzaville avec un fort enracinement à Bacongo et de fil en aiguille se répand à Kinshasa précisément, vers 1982. C'est un natif du village tshombe, sur la terre des Atetela, dans le Sankuru au Kasai , en République du Zaïre , qui prit rapidement la mesure de la chose et la porta très haut . C'est à juste titre que toutes les bouches sur les deux rives du Fleuve Congo s’accordent pour faire de lui le roi de la nouvelle religion. Seul son nom suffit pour mettre tout le monde d’accord. Ainsi, le code vestimentaire de la nouvelle élégance est lancé. Désormais, on s'habillera en y tenant compte. Il remit les pendules à l'heure.
Qui est donc cet homme?
De son vrai nom Shungu Wembadio Pene Kikumbi Jules, Papa Wemba est né le 14 juin 1949. Arrivé très jeune à Kinshasa avec sa mère maman Nyondo, le jeune garçon a effectué ses études primaires à l’école de Matonge. Fervent catholique, il intègre rapidement la chorale paroissiale de l’Église catholique Saint Joseph de Matonge, où le « kid» fît ses premiers pas comme chantre et parfait sa technique de chant. Lorsqu'il atteint sa majorité, il effectue un bref passage à stukas auprès de Libeki Lita Bembo, avant de créer en compagnie de ses compères Pepe Manuaku Waku et Roger Nyoka Longo, l’orchestre Zaiko Langa Langa en 1970. Ensemble musical dont il fît défection très vite. Avec son copain Mavuele Somo, ils créeront Isifi Lokole et ensuite Yoka Lokole avec Machakado Mbuta et Bozi Boziana.
De mésentente en mésentente, le groupe se disloque. C'est en 1976, qu'il créera son orchestre Viva la musica et, fit sa sortie officielle le 24 février 1977 sur la chaîne de la télévision nationale du Zaïre. Cette dénomination lui viendrait du concert du musicien haïtien Coupé Cloué, auteur du succès planétaire « allez, allez» qui lors d’un show, dans l’allégresse et parfaite symbiose avec son public aurait lancé le cri « che viva la musica». C’est ce substantif que le dandy de Kinshasa adoptera comme raison sociale de son orchestre.
Dynosaure de la musique congolaise
Aussi, ce chanteur a eu une carrière bien remplie, riche en tubes et en rebondissements. Ce qui a fait de lui l’un des artistes les plus prolifiques de sa génération. Près de 100 albums à son actif. Ce dinosaure à plusieurs facettes est un personnage absolument difficile à cerner.
Abordant son côté humaniste, Grand Bokul a été sur tous les fronts. Il a fait chorus à toutes les causes nobles de son temps. Il a stigmatisé la traite négrière ainsi que l’apartheid qui sévissait encore en Afrique du Sud dans les années 80. Ces deux idéologies deshumanisantes et ignobles dont l’humanité porte encore des séquelles n’ont pas échappé à sa voix dans son titre « liberté ». Il se présentait sur la pochette de l’album les mains dans les fers , symbole de l’enfermement et de la souffrance de toute une race, mis sur le compte de la bêtise humaine.
Il a chanté aux côtés de Youssou Ndour, Manu Dibango, Alpha Blondi, Salif Keita et autres pour sensibiliser à la lutte contre la sécheresse et la famine en Afrique avec le célèbre refrain « pourquoi la faim africa oh oh ». Il n’était pas du reste pendant le lancement de la monnaie nationale le Franc congolais par Mzee Laurent Désiré Kabila. La monnaie nationale, symbole d’unité, d’indépendance et de fierté nationale vers les années 2000.
Wemba a chanté le grand Congo qui va, de Lubumbashi à Pointe- Noire, de Souanké à Mungbara. Ces deux pays à cheval sur l’Equateur, baignés par le majestueux Fleuve Congo à travers sa chanson « ebale ya Congo » insistant sur l’unité nationale, l'amour de la patrie et l’amitié entre les peuples.
Il fût un grand séducteur, ce n’est un secret pour personne. Il tire sa révérence en laissant ainsi une progéniture de 33 enfants connus et plusieurs petits fils, en bon chef coutumier. Certainement sur les traces de son père qui lui-même avait quatre épouses et une belle cour d’école. Bon sang ne saurait jamais mentir.
Il adorait presque sa mère. Sa chanson « mama » en est une parfaite illustration. Aussi, Il fut peintre, et a vendu quelques tableaux. Ces tableaux se situaient entre le surréalisme et le classicisme. Si le grand Picasso s’est inspiré lui-même de la sculpture et de la peinture de chez lui, de quoi aurait-il honte. « Qui n'a pas imité ne sera jamais original », avait dit Victor Hugo. L’artiste en compte encore quelques-uns dans un coin de son atelier kinois, dans sa résidence de ma campagne.
Acteur hors pair, il a donné une prestation au sommet de son art dans le film "la Vie est belle" avec la jolie Brigitte krubi dit kabibi, dont ils ont partagé la vedette. Glorifiant la débrouillardise et cultivant le sens des objectifs. Ce film restera un classique du cinéma congolais. Il a su exporter tout un pays, sinon son art dans un pays lointain.
Il sied de signaler que le kuru Yaka fut le créateur des idoles. A ses côtés, on a vu défiler de grandes stars dont il a accordé la chance et propulsé dans le domaine musical.
L’artiste africain le plus photographié
Quant à sa discographie, elle est plus qu' abondante. Près de 100 albums, 1000 chansons et featurings. Il dirigeait à la fois Viva la musica aile Kinshasa, Viva international et Papa Wemba. Il a encouragé Felix Wazekua et Karmapa d’embrasser une carrière musicale. Sa musique de prédilection fut la rumba mais, ne manquait pas de faire un clin d'oeil à la salsa, au slow, au Rhythm and blues, à la pop musique, au gospel sans oublier le folklore Tetela d'où il puisait son énergie. Il a accordé plus de 1000 interviews aux journalistes à travers le monde et a participé à moult plateaux de télévisions ou radio pour parler de la sape ou de sa musique. C'est l’artiste africain le plus photographié de son temps et le troisième dans le monde après Michael Jackson et James Brown.
Bookul aimait chanter, c’était son job. Un jour répondant à un confrère ivoirien il disait: « je me sens bien sur scène. C'est comme si je plane. C'est peut-être l’énergie du public. Oui, je ne sais pas, peut-être que je partirai comme ça, devant mon public». C'est précisément dans ces conditions que le roi de la rumba s’en est allé.
Ekumani était un homme de bon goût qui affectionnait Wolfgang amadeus Mozart, écoutait Julio Iglesias et Edith Piaff, partageait la scène avec Peter Gabriel et savait imiter les voix de Rochereau et Tino Rossi et écoutait attentivement les chansons de Lutumba. Il adorait contempler les tableaux de Pablo Picasso, arborait les griffes de haute facture et s’intéressait au folklore tetela. La preuve, il a intégré le lokole dans la musique congolaise moderne.
Enfin, au- delà de l'opulente discographie que la star lègue à la postérité et idéaux qu'il a su partager aux générations qui l’ont environné, ce géant nous convie à pratiquer l’amour à l’instar de Martin luthier king, de Mandela et de Malcom x. Il lègue aussi un caractère. « Ne jamais abdiquer, jusqu'au sacrifice suprême ».
C’est ainsi qu'il a tiré sa révérence à Abidjan, sur scène, ce 24 avril 2016 en plein exercice de sa passion. Élevé à titre posthume par le raïs Kabila Kabange, au rang de grand officier dans l’ordre national des héros nationaux , Jules Presley a été inhumé le mercredi 04 mai à Kinshasa, au cimetière du Nécropole entre ciel et terre, après une messe de requiem dite en la cathédrale Notre dame de Lingwala par l’Archevêque de Kinshasa, Mgr Laurent Mosengwo Pasinia.
Appelé au repos éternel, il gît aux Champs-Elysées prêt à prendre place au panthéon, aux côtés de James Brown, Dalida, Myriam Makeba , Elvis Presley , Tabu Ley, Franklin Boukaka ainsi que tous les autres .
Merci Papa Wemba. Tu auras tout donné. Ces hommages qui te sont rendus sont à la hauteur de ta grandeur. Que ton âme repose en paix.