Du bleu contre la grisaille: la France derrière son équipe

Vendredi, Juillet 8, 2016 - 17:00

Des maillots bleus. La Marseillaise. Des milliers de fans dans les rues, bleu-blanc-rouge sur les joues, dans les bras les uns des autres. Le Mondial-98? Non, l'Euro-2016, où la ferveur populaire autour de l'équipe de France monte, monte, monte, et l'accompagnera en finale dimanche.

"Avant de venir au stade, on a vu des gens en folie, ils vont l'être encore plus dimanche", a prédit le sélectionneur Didier Deschamps après la victoire contre l'Allemagne (2-0) en demi-finale à Marseille (sud-est).

Fan zones pleines à craquer jeudi soir, ambiance de feu au stade Vélodrome, concert de klaxons et drapeaux tricolores dans les rues du pays après la victoire: la France renoue avec des images qu'elle n'avait plus vues depuis longtemps.

"Dans la grisaille, avec beaucoup de mauvaises nouvelles -les attentats de 2015, les conflits sociaux, l'économie qui n'est pas au beau fixe-, cela peut mettre du baume au coeur et sur les plaies d'un pays meurtri ces derniers mois", analyse pour l'AFP Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l'IFOP, un institut de sondage.

Cet enthousiasme est monté petit à petit, au fur et à mesure du tournoi. Indicateur de cette poussée de température: le suivi du car des Bleus entre leurs hôtels et les stades, qui est allé crescendo, d'une dizaine de personnes à une centaine jeudi. De même, au fil de leur parcours, il y avait de plus en plus de monde pour les accueillir à leurs hôtels en province (Marseille, Lille, Lyon).

"Ca fait plaisir, les gens sortent... Enfin! c'est la première affiche où les gens sont dehors, ça va faire du bien au pays", exulte Pierre Lefebvre, supporter croisé par l'AFP sur les Champs-Elysées jeudi soir, drapeau tricolore aux joues.

Oublié le désamour, voire le rejet épidermique que suscitait l'équipe de France il y a six ans, après le fiasco du Mondial-2010 en Afrique du Sud et la fameuse grève du bus de Knysna. Les joueurs ne sont plus les mêmes: seuls cinq des 23 de 2010 sont toujours présents aujourd'hui (Lloris, Mandanda, Sagna, Evra et Gignac).

Le retournement de l'opinion s'est amorcé fin 2013, lors du barrage contre l'Ukraine qui qualifiait la France pour le Mondial-2014. Trois ans après, la France de 2016 s'est carrément prise de passion pour Griezmann, Pogba, Payet et les autres. "Je tiens à remercier Didier de m'avoir redonné le goût d'aimer l'équipe de France", a lâché jeudi soir sur TF1 un grand ancien, Lilian Thuram, à l'adresse de celui qui était son capitaine en sélection.

"Cette équipe de France est aimée car elle donne envie d'être aimée. Elle est certes perfectible, mais c'est ce qui fait son charme. On peut s'identifier à elle. Elle montre de l'envie, suscite de l'émotion", a glissé le sélectionneur.

"C'est sans doute l'une de ses réussites d'avoir présenté une équipe qui a l'air soudée, unie", commente pour l'AFP Mathieu Quidu, sociologue du sport à l'Université Lyon 1. "Il y a bien des mèches que l'on a tenté d'allumer mais elles ont vite été éteintes".

Une allusion aux accusations de racisme portées contre Deschamps avant l'Euro par Karim Benzema, écarté des Bleus à cause de sa mise en examen dans l'affaire du chantage à la sex-tape contre un autre joueur, Mathieu Valbuena.

"On a une équipe qui a l'air d'être soudée à l'intérieur, qui commence à faire l'unanimité auprès des médias. Du coup, le grand public se retrouve dans cette unité. Et dans un contexte d'éclatement multiple, c'est une des seules sources possibles de réunion", poursuit M. Quidu. La France aime ses Bleus, certes; elle espère les voir gagner l'Euro dimanche contre le Portugal, bien... mais après? Y aura-t-il des conséquences durables sur la société française?

"ça peut symboliser que tout n'est pas foutu, que la France rassemblée peut encore avoir de beaux succès, ça peut d'autant plus fonctionner en période estivale, mais très vite, l'actualité et les réalités lourdes nous rattraperont", tranche M. Fourquet. "C'est peut être une caractéristique de la société contemporaine: ce sera une collection d'émotions éphémères plutôt que des rassemblements durables", abonde M. Quidu. La société française a été échaudée par un précédent: l'illusion de la France black-blanc-beur en 1998, à laquelle elle avait voulu croire avant que ce mythe se fracasse sur la réalité.

Capitaine de l'équipe de France 1998, Deschamps était au centre de cette euphorie il y a 18 ans, et en connaît toutes les limites: "On n'a pas la prétention ni le pouvoir de régler tous les problèmes des Français. On a ce pouvoir de leur procurer des émotions et de leur faire oublier leurs soucis".

AFP
Légendes et crédits photo : 
Knysna est désormais loin et les Bleus de Paul Pogba ont retrouvé leur place dans le coeur de leurs supporteurs (FRANCK FIFE / AFP) La France du football retrouve les émotions vécues en 1998 et la ferveur monte aux pieds des écrans géants (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP) Les Français sont dans la rue après la qualification des Bleus face à l'Allemagne (PHILIPPE LOPEZ / AFP)
Notification: 
Non