Un conflit imminent aux conséquences variées approche. Dans un contexte de croissance démographique, l’agriculture mondiale dépend entièrement de l’extraction du phosphate, utilisé pour fabriquer les engrais chimiques.
Les réserves sont énormes, le déficit ne se fera pas sentir avant des décennies, voire des siècles. Le phosphate est donc une ressource dévaluée et exploitée sans aucune limite pour l’environnement, même si son prix a connu une forte hausse ces dernières années, avant d'entamer une baisse en 2013. Or l’apport excessif en phosphate de l’agriculture qui n’est pas absorbé par les plantes se déverse dans les rivières, contribuant au phénomène d’eutrophisation des milieux aquatiques.
Le Maroc détient 75% des réserves connues de phosphate, donc le quasi-monopole. Si le Maroc est accusé d’exploiter les ressources du territoire qu’il occupe au détriment des populations locales, les multinationales qui achètent sa production sont jugées complices. Mais ce ne sont pas tant les questions morales qui inquiètent le reste du monde que les enjeux stratégiques de la région. Le proche Mali devenant le terrain de jeu des membres d’al-Qaida, certains experts pensent que le Maroc, et donc l’approvisionnement en phosphate, pourrait être à son tour touché par des troubles internes. « Personne n’est impatient de voir arriver la grande guerre des engrais de 2042...», affirme Jeremy Grantham, cofondateur du fonds d’investissement américain Grantham Mayo van Otterloo.
Déclencher une révolution verte en Afrique
Sacré « roi des engrais », le géant marocain des phosphates mise gros sur une nouvelle usine d’engrais à Jorf Lasfar, à une centaine de kilomètres au sud de Casablanca. Objectif : déclencher une « révolution verte » en Afrique. L’entreprise marocaine a mobilisé 5,3 milliards de dirhams pour une production annuelle estimée à 1,4 million de tonnes d’acide sulfurique ; 450 000 tonnes d’acide phosphorique ; et 1 million de tonnes d’engrais. Surtout, cette usine d’engrais est destinée à l’Afrique, qui ne représente que 3 % de la consommation mondiale.
La sous-utilisation des engrais a un impact certain sur les rendements agricoles. Pour le manioc, le rendement en Inde atteint 36 tonnes par hectare contre seulement 11 en Afrique. Pour concevoir des engrais adaptés et à un prix compétitif, l’Office chérifien des phosphates (OCP) s’est lancé dans la cartographie des sols.
Après avoir accompagné l’Inde, son premier client, dans le développement de son secteur agricole, l’OCP veut rééditer l’expérience au niveau du continent. Une stratégie ambitieuse.
Un enjeu planétaire
Les stocks de phosphore intervenant dans la nutrition de la plante ont fortement augmenté depuis 1948. La disponibilité de phosphore détermine la production primaire et par conséquent, le stockage de carbone dans les écosystèmes en réponse aux changements climatiques. Cet élément est au carrefour des enjeux de sécurité alimentaire et d’atténuation du changement climatique.
L’accroissement continu de la demande en biomasse agricole pour des usages alimentaires et non alimentaires, et la raréfaction des ressources nécessaires à la production des engrais posent la question de la dépendance de la production agricole aux engrais de synthèse. A l’échelle globale, il a ainsi été montré que 40% de la production de protéines dépendait des engrais azotés de synthèse.
Les spécialistes s'accordent à dire qu'il convient de faire émerger une gouvernance mondiale des ressources en phosphore, nécessitant au préalable un effort majeur de communication et d'éducation, en vue d'éveiller la conscience collective et la responsabilité des individus face à cette problématique globale.