En prévision du 27e sommet Afrique-France qui se tiendra les 14 et 14 janvier 2017 à Bamako au Mali, l’historien africaniste Bernard Lugan analyse le Franc CFA.
A en croire Bernard Lugan, si l'opposition de droite parvenait au pouvoir en France en 2017, une nouvelle politique de coopération serait définie, et la question du Franc CFA sera réexaminée. Il énumère les 4 questions qui se posent au sujet de cette monnaie d'Afrique francophone, selon lui :
1- le Franc CFA est-il un obstacle au développement des 14 pays africains (plus les Comores), membres de la zone franc pour lesquels elle constitue la monnaie commune ?
2- le Franc CFA est-il au contraire un atout pour ces pays, la France jouant à leur profit le rôle d’une assurance monétaire ?
3- Créé en 1945, le CFA est-il une survivance de la période coloniale, un moyen pour la France de continuer à exercer une influence sur ses anciennes colonies ?
4- L’intérêt politique de la France n’est-il pas de supprimer le CFA afin d’en finir une fois pour toutes avec les lassantes accusations de néocolonialisme ?
Créé le 26 décembre 1945, le Franc des colonies françaises d’Afrique (Franc CFA), devenu Franc de la Communauté française d’Afrique en 1958, constitue dans la réalité deux CFA, l’un pour les pays de l’Uémoa (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo, avec pour banque d’émission la Bcéao. Il s’agit du Franc de la Communauté Financière d’Afrique de l’Ouest.
L’autre CFA concerne les pays de la Cémac (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad, dont la banque d’émission est la Béac. Il est le Franc de la Coopération Financière en Afrique centrale.
Les détracteurs du Franc CFA
Selon les détracteurs de la zone Franc et du CFA, la parité fixe entre le CFA et l’euro pénalise les pays membres, car ces derniers commercent plus avec la Chine qu’avec l’Europe. Adossé à l’euro, le CFA est une monnaie forte surévaluée qui nuit aux économies concernées. Il s’agit d’un mécanisme économique désuet dont la politique monétaire immuable entraîne une lourdeur bureaucratique. De plus, il ne favorise pas la croissance puisque les pays de la zone franc sont au bas du classement des Nations Unies sur le développement, alors que les pays africains ayant leur souveraineté monétaire sont mieux classés.
Les comptes d’opérations étant ouverts auprès du Trésor français, ce dernier bloque des sommes d’environ 14 mds d’euros qui pourraient être utilisées pour financer le développement. De plus, comme la France profite des intérêts de cette somme, elle s’enrichit donc aux dépens des Africains. Le système permet toutes les ingérences françaises comme l’a montré la manière dont le président Nicoals Sarkozy l’a utilisé pour acculer son homologue ivoirien Laurent Gbagbo. En définitive, il s’agit d’un prolongement de la colonisation et d’une forme patente de néo-colonialisme.
Les défenseurs de la zone Franc et du Franc CFA
- Selon eux, le CFA garantit la stabilité des monnaies des pays membres comme l’ont redit en avril 2016 les ministres des Finances de la zone franc en citant l’exemple du Ghana dont la monnaie souveraine s’était effondrée.
- D’où il est faux de dire que les pays membres de la zone franc sont au bas du tableau du développement. En 2014, l’Uémoa a ainsi connu une progression de 7% de son Pib, un pourcentage très largement supérieur à celui du reste de l’Afrique, en raison d’une politique de grands travaux d’investissement publics en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
- Le mouvement ne bénéficie cependant pas à toute la zone Uémoa car les pays sahéliens qui la composent traversent une crise profonde.
- Le système CFA oblige les Etats à gérer leur monnaie et à freiner la corruption.
- Les émissions dépendant de la Banque de France, il y a impossibilité pour les pays membres de faire marcher la « planche à billets ».
- La zone Franc obtient de meilleurs résultats en matière de stabilité des prix que le reste de l’Afrique sud-saharienne. L’inflation est ainsi de 1% dans l’Uémoa, de 2,5% dans la Cémac et de 1,3% aux Comores, contre 7% en moyenne pour l’Afrique sud-saharienne (Banque de France 30 septembre 2016/ Rapport annuel zone Franc 2015).
- Autre avantage pour les pays membres, en cas de problème, la France garantit les transactions.
- Les monnaies nationales de pays à faible revenu ne vaudront rien si elles ne sont pas adossées à une monnaie forte et, dans tous les cas, les transactions se feront en dollars ou en euros.
- Ce n’est pas le CFA qui a détruit les industries naissantes, mais la réduction des barrières douanières imposée par la Banque mondiale.
- Quant aux comptes d’opérations ouverts auprès du Trésor français et qui nourrissent bien des fantasmes, ce ne sont pas des « vaches à lait » dont profiterait la France car les 14 mds d’euros bloqués comme « assurance » et comme garantie par le Trésor français représentent moins de 1% des réserves françaises de change.
Le positif l’emportant sur le négatif, les pays africains concernés auraient donc avantage au maintien du CFA. Tel n’est pas le cas de la France. Les chiffres publiés par la Direction générale du Trésor (avril 2016, en ligne) tordent en effet le cou à bien des légendes en mettant en évidence deux points importants :
1) En 2015, alors que la totalité de ses exportations mondiales était de 455,1 milliards d’euros, la France a vendu à la seule Afrique sud saharienne pour 12,2 milliards d’euros de biens et marchandises, soit 2,68 % de toutes ses exportations. Sur ces 12,2 milliards d’euros, la zone CFA en a totalisé 46%, soit environ 6 milliards d’euros, soit à peine 1,32% de toutes les exportations françaises. Pour ce qui est des importations, les chiffres sont voisins.
2) La zone CFA n’est pas cette « chasse commerciale gardée » permettant aux productions françaises de bénéficier d’une sorte de marché réservé comme certains l’affirment. En 2015, la part de la France dans le marché de cette zone ne fut en effet que de 11,4%, loin derrière la Chine.
Les conclusions sont les suivantes :
1) Le poids de la zone CFA étant anecdotique, l’économie française ne serait donc guère affectée par sa suppression.
2) Politiquement, en quoi la France aurait-elle intérêt au maintien de cette ultime survivance coloniale, se pose t-il la question.
La récente entrée dans une zone de turbulences des Etats de la Cémac, confirmée par la tenue le 23 décembre à Yaoundé, d’une conférence extraordinaire sur la situation macro économique et financière de la communauté, en présence de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, et du ministre français de l’Économie et des Finances Michel Sapin, soulignait en effet, le caractère exceptionnel de cette réunion. Ce qui donne tort aux adversaires de cette monnaie rattachée à l’euro, qui se font d’ailleurs de plus en plus nombreux.
Si la monnaie fait partie des critères essentiels de la souveraineté des nations, pourquoi préserver les anciennes colonies françaises, pourquoi confisquer la gestion de cette partie de leurs prérogatives, indispensables à leur développement économique selon certains experts ?