Quand on aperçoit ce gentil bonhomme de petite taille avec un grand sourire qui ne quitte presque jamais son visage, on a du mal à croire qu'il s'agit d'un des plus grands tourbillons du cinéma contemporain africain.
Sylvestre Amoussou a jeté le premier pavé dans la mare quand il a sorti en 2006 son premier long-métrage « Africa Paradis », un film devenu culte, une satire amère, une fable utopique : dans un avenir proche, l’Occident sombre dans la récession et l'insécurité alors que l'Afrique prospère, les émigrés clandestins européens traversent en bateau la Méditerranée en recherche d'une vie meilleure ; comme un écho visionnaire de la triste réalité inverse que nous connaissons en 2017.
Son second film "Un pas en avant : les dessous de la corruption" a confirmé un réalisateur qui questionne les rapports difficiles entre l'Afrique francophone et son ancienne pouvoir colonial - la France.
Le dernier film, qui vient de remporter l’Étalon d'argent de Yennenga du Fespaco est un film qui dénonce et démontre encore plus explicitement le rôle que joue la France et ses voisins européens en Afrique.
L'orage sur le continent...
Dans un pays imaginaire, le Tangara, un président démocratiquement élu sur un programme de souveraineté économique annonce sans préavis la nationalisation, avec effet immédiat dès le lendemain, de toutes les entreprises occidentales et forcément provoque la colère de leurs propriétaires et de la France.
La « Madame Afrique » du gouvernement français débarque de Paris dans le pays, avec son arsenal de corruption, de menaces, de complots et son équipe de barbouzes et mercenaires pour déstabiliser le pays et provoquer l'intervention internationale. Déjouant les trahisons de ses proches avec l'aide d'une courageuse journaliste, le président n'hésite pas à jouer la carte de la Russie et de la Chine pour bloquer l’intervention de l'ONU demandée par la France.
Dans la toute première projection publique au cinéma Burkinabé, la salle a retenu son souffle au rythme du film, sifflant les néo-colons et ponctuant les tirades anticolonialistes de cris de joie enthousiastes.
Standing ovation pendant toute la durée du générique et quand les lumières se rallument, Sylvestre Amoussou, réalisateur-scénariste-acteur principal (dans le rôle du président) est célébré comme un vrai président qui accomplit la volonté du peuple et incarne sa colère face à la Françafrique.
Entretien
Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez reçu un vrai bain de foule à la fin de la projection.
Sylvestre Amoussou : Je ne m'attendais pas à ça ! C'était la première projection publique du film. Bien sûr je rêvais d'un Étalon surtout pour récompenser ceux qui ont travaillé avec moi pour le salaire modeste que je pouvais payer... mais à vrai dire je n'y croyais pas... Recevoir, en plus, le Prix de l’Assemblée Nationale du Burkina m'a procuré un grand plaisir.
LDB : Pourquoi mettez-vous toujours les pieds dans le plat ?
SA : Un réalisateur c'est une éponge... j'absorbe tout ce que j’écoute, tout ce que j'entends, tout ce que dit le peuple... Beaucoup de gens sur le continent ne comprennent pas pourquoi au bout de presque 60 ans d'indépendance nous sommes encore économiquement, complètement dépendants de l'occident. Je n'accuse pas mais je lance un débat, aussi car en Europe le peuple lui-même n'est pas au courant.
LDB : Avez-vous reçu des financements européens pour ce film ?
SA : Aucun de mes films n'a jamais reçu aucune aide européenne – alors je peux me permettre de dire ce que j'ai envie de dire ! J'ai encore des dettes depuis « Africa Paradis » et « Un pas en avant ».
LDB : Malgré le manque de financement vous avez toujours un beau casting, notamment avec des comédiens comme le camerounais Eriq Ebouaney.
SA : Je me tiens à mes comédiens et mon équipe internationale, avec des techniciens africains et européens même si j'ai du mal à les payer. On m'accuse souvent d'être têtu. Mais je dirais que je suis déterminé à garder ma façon de faire le cinéma !
Ce réalisateur atypique nous est précieux car il survit inlassablement à un paradoxe: il aborde toujours des thèmes brûlants, qui fâchent les financeurs français et européens et devraient lui interdire de produire des films de classe internationale. Malgré cela, il parvient à fédérer une équipe fidèle, qui ne le lâche pas et lui permet régulièrement de revenir à la charge et de nous servir des films qui posent les vraies questions.
Le Fespaco, lieu historique du Panafricanisme, l'a sélectionné, et c'est avec une fierté évidente que le président du Jury a annoncé sa deuxième place au palmarès, à la surprise générale. Et à la plus grande joie du public de la nation de Thomas Sankara.