Barthélémy Courmont, chercheur à l'Institut des relations internationales, a estimé que les Chinois seraient sur le point de devenir les premiers donateurs devant les Américains en terme d'aides internationales distribuées.
Le chercheur parle de "la rencontre des deux tendances":
- D'un côté, la réduction des montants alloués par les Etats-Unis à l'aide internationale depuis le début des années 2000; la réduction progressive des grands projets d'aide au développement, qui a suivi la fin de la Guerre froide, notamment visible en Afrique, devant les importantes dépenses consacrées à la sécurité et aux guerres depuis 2001; et la réduction de la force de frappe économique des Etats-Unis.
La crise de 2008 n'en étant que la face la plus visible. En comparaison avec les années 1990, Washington a vu ses moyens et son intérêt pour le développement à l'international se réduire.
- De l'autre côté, les moyens de la Chine ont connu une montée en puissance exceptionnelle depuis la fin de la Guerre froide, dans ce qui est sans doute la croissance économique et financière la plus spectaculaire de toute l'histoire. Et comme cette croissance a été rendue possible par la connection étroite de la Chine à l'économie-Monde, les dirigeants chinois ont parfaitement compris la nécessité, pour qu'elle se maintienne, de soutenir le développement du reste du monde.
La Chine a consacré aujourd'hui des sommes considérables dans toutes les régions de la planète, l'aide au développement n'en étant d'ailleurs qu'une des facettes, puisqu'elle s'accompagne d'investissements directs en forte hausse, d'investissements privés et de multiples initiatives qui marquent une présence de plus en plus forte, et qui est souvent résumée par l'initiative de la ceinture et de la route. Derrière ce slogan, c'est un nouveau rapport de la Chine au reste du monde qui est proposé et ne fait qu'accélérer la transition de puissance avec les Etats-Unis.
Si on reste sur l'exemple de l'Afrique, Barthélémy Courmont note que les sommets Chine-Afrique, initiés en 2000, sont une vitrine de ce que la Chine peut apporter en termes d'aide et d'investissement sur ce continent, là où les Etats-Unis, très présents il y a vingt ans, sont en retrait.
Un soft power menaçant ou pas de la domination américaine?
A la question de savoir si en termes de soft power, ce genre de bouleversement hiérarchique est la preuve que la Chine est en position pour menacer la domination américaine, le chercheur répond que tout dépend de la définition que l'on donne au soft power.
S'il s'agit de la capacité d'une société d'influencer une autre, sur la base de sa culture et du modèle qu'elle incarne, il pense que les Etats-Unis conservent un avantage sur la Chine, même si cette dernière est très clairement montée en puissance depuis les années 2000. S'appuyant sur la culture populaire américaine, il pense que les modes de pensée issus de la société de consommation , l'American Way of Life qui continue d'exercer un pouvoir d'attraction, "sont des outils de soft power que la Chine, malgré ses efforts et ses progrès, n'a pas encore en sa possession". Mais il est conscient que sur au moins une génération, ces perceptions pourraient changer mais dans l'état actuel, le décalage reste important.
Et si le soft power est la capacité d'un Etat de mobiliser ses forces pour un but précis, alors la Chine est en position de force, dit-il, ce qu'il considère comme un bouleversement hiérarchique. En Chine, les autorités ont mobilisé les différentes facettes du soft power. Ce qui semble être un handicap politique, la nature du régime, dans l'affirmation d'un soft power s'avère ainsi, et presque paradoxalement, un avantage pour Pékin, souligne-t-il.