Un important lot de médicaments antirétroviraux est arrivé à Brazzaville en début de semaine. Aussi ordinaire qu’elle peut paraitre, l’information est plutôt capitale pour les personnes vivant avec le VIH même si elles affichent encore un doute. Depuis quelques jours, en effet, le bruit faisant état de la carence de certaines molécules dans le traitement de la maladie a semblé remettre la gestion des ARV sur la sellette
Il n’y aura plus de rupture des ARV dans le pays, clame-t-on au ministère de la Santé où des dispositions sont prises depuis quelques mois pour améliorer la desserte en médicament antirétroviral. L’assurance du ministère viendrait, si l’on s’en tient aux discours tenus par la plupart des experts, du renouvellement des accords avec le laboratoire Cipla, géant indien de fabrication des médicaments génériques, qui renoue avec le Congo dans la fourniture des ARV.
Les ruptures intempestives de médicaments ces dernières années seraient provoquées, souligne-t-on, entre autres, par le désaccord entre le Congo et le laboratoire indien qui revendiquait une importante dette d’environ 800 millions de FCFA auprès de l’État congolais. Durant ces dernières années, les commandes des médicaments ARV passaient ainsi par plusieurs intermédiaires, avec, au bout, plusieurs conséquences dont la surenchère entreprise par des sociétés relais et surtout des acquisitions en ARV non coordonnées.
La situation connait désormais une solution, assure le Programme National de Lutte contre le Sida (PNLS). « Les accords avec Cipla ont été renouvelés grâce à la détermination du ministre François Ibovi » explique le Dr Dzabatou-Babeaux, médecin-chef au PNLS. Depuis quelques jours, un stock de médicaments ARV est arrivé à Brazzaville. Même si la quantité de la commande n’est pas dévoilée, les experts du ministère de la Santé rassurent que désormais on ne parlera plus de rupture.
Une annonce que redoutent les personnes vivant avec le VIH
La vision est heureuse. Mais l’information lève-t-elle le voile sur la mélancolie des personnes vivant avec le VIH, qui alertent chaque jour sur l’absence de telle ou telle molécule dans la prise de leur trithérapie ? A priori non. Cela fait trois ans qu’elles vivent les ruptures de médicaments achetés gratuitement par l’État grâce à une enveloppe annuelle de plus de 3 milliards de FCFA. Quand bien même l’on annonce l’arrivée des stocks, les malades, très souvent, évoquent des ruptures, si ce n’est une ou deux molécules qui deviennent rares.
Ces derniers jours, explique Thierry Maba, membre actif du Réseau national des personnes vivant avec le VIH (RNAPC), des malades vivent la rupture des médicaments, de certaines molécules notamment. À Pointe-Noire, selon des sources ayant requis l’anonymat, des médecins dans un hôpital auraient demandé aux femmes positives d’arrêter d’allaiter leur bébé, car le déséquilibre constaté dans leur traitement du VIH en raison de l’absence de certaines molécules pouvait contaminer les enfants. « Le traitement complet fait trois molécules. C’est une trithérapie. Quand il manque déjà une molécule, ce n’est plus le traitement », souligne-t-il. Des cas de décès causés par cette situation ont été également enregistrés. Réservé, Thierry Maba n’a pas voulu en dire plus sur le nombre de décès enregistrés par le Renapc.
Une situation qui confirmerait, une fois de plus, pour les personnes vivant avec le VIH, des failles dans la gestion des ARV. Mauvaise gestion dans la chaine de distribution ou rupture de médicaments, le PNLS note plutôt des dysfonctionnements dans la gestion des stocks dans certaines structures. « Il y a le médicament. Mais très souvent les structures attendent l’épuisement total de leur stock pour passer des commandes. Entre la commande et la livraison, il peut y avoir manque d’un produit », réplique le Dr Dzabatou-Babeaux. « Nous poursuivrons des formations en ce sens. Mais il ne faudrait pas qu’on exploite cette situation pour en faire un problème politique », complète-t-il.
Des réformes pour améliorer la gestion des ARV
La reprise du contrat avec le laboratoire Cipla pourrait améliorer la desserte en ARV, surtout si les mécanismes de gestion sur toute la chaîne de distribution sont réformés. Le ministère de la Santé a d’ailleurs annoncé la création d’une Direction générale du médicament, de la pharmacie et des laboratoires. Elle s’occuperait, entre autres, des normes de fabrication, de conditionnement, de vente et de stockage du médicament. À côté de cela, bien que l’information fasse débat, le département annonce également la création d’une nouvelle centrale d’achat qui naîtrait sur les cendres de l’actuelle Comeg (Congolaise des Médicaments Essentiels et Génériques).
La Comeg, selon le ministère de la Santé, ne rendrait plus efficacement ses missions. En raison de son statut quelque peu « spécial », elle serait également responsable des situations de mauvaise gestion des ARV tant décriés. À en croire quelques propos entendus, certains produits de la Comeg seraient illicitement vendus en RDC. Des personnalités atteintes de la maladie qui refusent de se montrer dans des structures de santé se seraient par ailleurs inégalement servies à la Comeg. La liste des griefs est longue, sans compter le refus de la structure de tenir informées dans ses rapports les structures du ministère de la Santé mandatées à cet effet. « Elle a embrassé trop d’argent et il y a eu la création de réseaux », a-t-on attendu.
Pour renforcer les capacités de PNLS à gérer la réponse nationale du VIH/Sida, une légère augmentation du budget de la structure est constatée cette année. Mais, pour que le programme agisse efficacement en faveur de la lutte contre la maladie, il espère un budget annuel d’environ 800 millions de FCFA à côté de ses quelques 200 millions de FCFA qu’il reçoit encore. Les difficultés énormes qu’elle rencontre pour l’heure, comme l’absence de véhicules, peuvent freiner les opérations en faveur de la lutte contre la maladie.
« Il n’y a pas de lutte contre le VIH sans les personnes vivant avec le VIH »
Réformer c’est bien, mais pas sans les personnes vivant avec le VIH. Selon le Renapc, un flou total régnerait dans le dossier ARV au Congo. Le fait déjà de considérer ces personnes comme des personnes gênantes et sans les associer dans la gestion des ARV indiquerait l’absence de clarté dans l’affaire. « Parce que si le travail était bien fait, on nous associerait. C’est parce qu’il y a problème qu’on ne peut pas nous associer. Dans la lutte contre le VIH, faire des choses pour les personnes vivant avec le VIH sans ces derniers c’est faire contre eux », déclare Thierry Maba qui refuse toute manipulation. Pour lui, une personne vivant avec le VIH n’a rien à gagner en alertant sur le manque de médicament, surtout que c’est gratuit.
Le réseau se pose évidemment la question de savoir pourquoi le ministère de la Santé ne publierait-il pas la quantité des produits reçus et les mécanismes de distribution. « Les médicaments sont arrivés mais qui a vu ces produits ? Parfois on nous montre deux ou trois cartons à la télé pour démontrer qu’il y a des produits suffisants. Quelques jours après, un ou deux produits sont introuvables », commente une personne vivant avec le VIH rencontrée au Centre de traitement ambulatoire du CHU. « Si aujourd’hui vous avez le Trivada en quantité suffisante, demain c’est un autre produit qui disparait », ajoute une autre.
À en croire les personnes vivant avec le VIH, la Comeg jouerait mieux son rôle en toute clarté. La récente visite dans les entrepôts de la structure, à Mpila, a permis de constater la présence d’un stock de médicaments fournis par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ces produits, selon le Renapc, ne seraient destinés qu’à 6.000 patients, alors que 18.000 malades sont sous ARV. « Le stock de la Comeg est connu, mais pas celui du ministère de la Santé. C’est là où nous posons le problème de la clarté », souligne-t-on chez les personnes vivant avec le VIH.
« C’est depuis 2011 que la Comeg ne touche pas à l’argent de l’État. Depuis qu’elle ne distribue plus les médicaments, il y a des problèmes dans ce pays. Dire que la Comeg ne travaille pas bien, je doute de cela », déclare Thierry Maba.
Faut-il croire à la détermination actuelle du ministère de la Santé à vouloir offrir des réformes ? Si cette année le budget de la coordination au niveau du PNLS a été réévalué, cela augure sans doute de bonnes intentions dans ce dossier. Selon le PNLS, la gratuité des opérations de suivi biologique est désormais opérationnelle. « La situation a été débloquée », relève-t-on. Reste toutefois à créer une ambiance de confiance mutuelle entre les structures de lutte contre la maladie et les personnes vivant avec le VIH, dont le stress lié parfois à l’absence de produit peut créer des remous.