Riche en ressources naturelles, le continent africain qui va compter au moins un milliard d’habitants à l’horizon 2050 mise sur l’agenda 2063 pour sortir de la précarité. Son émergence et son développement passent, entre autres, par l’intégration, la numérisation, le libre-échange et l’amélioration des infrastructures. Dans une interview accordée à la presse, en marge de la cinquante-deuxième session de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) qui se tient à Marrakech, le directeur pour l’Afrique centrale de cette organisation a estimé que tout cela n’est réalisable que si la croissance atteint deux chiffres.
La CEA qui a fêté son soixantième anniversaire en 2018, tient sa cinquante-deuxième session au Maroc. Quelle est la particularité de cet événement en cette période où certaines zones du continent vivent une grave crise économique ?
Antonio Pedro (A.P.) : C’est une conférence qui débat de la problématique budgétaire ; des opportunités qu’offre le commerce aux pays africains pour promouvoir le développement et la croissance inclusive. Ceci dans un domaine où la digitalisation ou l’économie numérique occupe une place importante. Nous sommes ici pour partager des expériences. C’est autant dire que cette conférence est une opportunité de présenter les politiques que nos pays pourront suivre pour leur émergence.
Vous parlez de partage d’expériences. Il est désormais établi que seule la numérisation facilite une bonne collecte des recettes fiscales. Y a –t-il des pays africains qui ont fait des preuves dans ce domaine ?
A.P. : Le Rwanda, par exemple, grâce à la digitalisation, a augmenté le niveau de collecte des ressources à travers la taxation. C’est un processus important qui passe par la simplification des procédures et l’accès au marché. Il y a bien d’autres pays dont le Maroc qui, à travers l’économie numérique, ont réussi à augmenter la base des contributions et en même temps baisser les taxations.
Il s’agit là d’une opportunité pour diversifier les options permettant à la population de contribuer au développement du pays. Le message clé que nous voulons transmettre est de dire que pour l’agenda 2063, les pays africains doivent augmenter le taux de mobilisation des ressources internes pouvant financer leur développement.
Il faut forcément augmenter la croissance économique qui est actuellement de 3,2%. Avec une croissance à deux chiffres, l’Afrique pourrait transformer les économies et arriver à l’émergence. Les opportunités sont là ; nous avons des ressources et il nous reste à augmenter ou intensifier le commerce intra-africain et régler la problématique de développement et d’intégration en Afrique.
Les Etats sont-ils disposés à suivre la marche vers le développement en saisissant toutes ces opportunités qui s’offrent à eux ?
A. P. : La diversification des économies est au cœur des politiques des pays. A l’occasion du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale, organisé en décembre 2017 à Yaoundé, au Cameroun, le leadership de la sous-région avait souligné l’importance de la diversification économique, tout comme la restauration de la stabilité macroéconomique.
La volonté politique est là, nous travaillons déjà avec le Tchad, la Guinée équatoriale et le Congo-Brazzaville dans l’élaboration des politiques et des stratégies de diversification économique. C’est déjà un pas très important. La démarche voudrait que la diversification économique et l’industrialisation soient au cœur des politiques de développement de nos pays.
Aujourd’hui, la qualité de dialogue entre le secteur public et privé est encore faible. Il faut relever le niveau de ce dialogue ; aborder la problématique de la qualité des infrastructures. Malheureusement, l’Afrique centrale fait partie des pays moins performants en matière d’intégration sous-régionale. Il faut que les pays soient mieux connectés ; que les barrières tarifaires soient levées ; ce qui demande encore des efforts.
Au sujet de l’intégration, l’Afrique du Sud représente à elle seule 25% du commerce intra-africain. Les autres pays semblent traîner le pas. Que faut-il faire pour corriger et améliorer cette situation ?
A.P. : La question doit être examinée plus profondément. Une chose est vraie, la structure productive de l’Afrique du Sud est plus avancée que dans d’autres pays. Le secteur manufacturier sud-africain est plus performant qu’au Tchad ou encore au Congo-Brazzaville, par exemple. Il faut prioriser l’industrialisation pour que les pays africains changent leur structure de production ; le commerce des produits intermédiaires et des produits manufacturiers.
Globalement, la croissance ne répond pas en Afrique, cependant, ne profite pas à la population qui n’en ressent pas les effets. Comment expliquez-vous une telle situation ?
A.P.: Il faut un peu de patience parce que le vrai problème de nos pays est structurel. Ce problème doit être examiné profondément. Il y a un changement dans la structure de production à opérer. Autrement dit, il y a des investissements à long terme à opérer.
A la CEA, nous avons une position très claire : la région Afrique centrale doit faire une stabilisation macroéconomique. C’est aussi la politique du Fonds monétaire international. En même temps, nous avons dit à tous nos partenaires qu’il faut trouver un espace budgétaire pour des investissements de long terme. C’est à ce niveau qu’il y a une grande différence entre l’Afrique et d’autres parties du monde.
Le taux d’épargne dans les pays occidentaux est très élevé qu’au niveau africain. Il faut changer le comportement de la banque en Afrique où elle est généralement prête à accorder les crédits pour le commerce ; mais quand il s’agit des prêts pour l’industrialisation, c’est toujours un grand problème. Ce qui demande à améliorer le dialogue avec la société civile ; que toute la créativité du secteur informel, des petites et moyennes entreprises, soit mobilisée pour le développement.
Je pense qu’avec la cohérence politique et un dialogue approfondi, on peut parvenir à la réalisation de l’agenda 2063. Les médias devraient également jouer un rôle important pour expliquer à la population que le développement prend du temps.