Malgré des opérations d’aménagement des voies de navigation, l’ensablement du fleuve Congo cause chaque année d’énormes bouleversements dans la chaîne logistique de transport. Les autorités locales et les institutions internationales habilitées prévoient de rétablir le chenal et les ports, l’installation et l’équipement portuaires. En attendant, le dragage du fleuve en cours met en évidence une pollution progressive et au port, les passagers doivent changer de quai
Des bancs de sable se sont formés sur le fleuve Congo laissant voir un littoral asséché à la gare des passagers, en amont du Beach de Brazzaville. Plusieurs mètres de sable empêchent désormais les canots rapides d’accoster au débarcadère qui ne sert plus qu’à effectuer des formalités administratives, là où se pressent les habitués de la traversée Brazzaville-Kinshasa. En raison de l’ensablement accru du fleuve, aucun bateau ne peut plus stationner. Les flotteurs du quai sont à nu, immobiles.
Ticket en main, les voyageurs doivent descendre au Beach où accostent de grands bateaux en provenance de l’autre rive, des villes côtières du Congo ou de la RCA. Un exercice périlleux, car les planches qui font office de pont entre le bas de l’escalier et le bateau ont déjà occasionné glissades, objets tombés à l’eau. La vigilance est également de mise, car parfois le bateau est reparti sur l’autre rive au grand dam des passagers distraits…
En attendant la réhabilitation des quais lancée par les pouvoirs publics en décembre 2013, les gymnastiques malheureuses se répéteront sans doute : sur les quatre quais concernés (amont, lourd, Welman et Certi) les travaux les plus avancés sont ceux du quai lourd. Dans le port, élargi aux installations du Chantier naval et transports fluviaux (CNTF) et au Service commun d’entretien des voies navigables, les passagers en quête de meilleures conditions de traversée ne sont pas les seuls à souffrir de la situation. Les autorités sont confrontées à l’ensablement du fleuve Congo lui-même étranglé par une pollution progressive.
Quand la navigabilité du fleuve baisse, l’économie en pâtit
Des îlots de sable, un littoral asséché, une espèce de cimetière marin fait de carcasses de bateaux rouillés et des débris des égouts de la M’Foa et des canalisations du centre-ville, voici le tableau qu’offre le fleuve le long de la côte derrière le chantier naval, le Trésor public et vers le Beach, où se trouvent des restaurants de fortune.
Un peu plus loin sur le fleuve, deux dragues tentent d’aspirer le sable pour le rejeter en profondeur. L’opération qui vise à désensabler le fleuve pour le rendre navigable, alimenter le littoral et permettre l’accostage des bateaux, a démarré depuis deux mois grâce à un financement de l’Union européenne d’environ 600 millions FCFA. L’ensablement des accès au port de Brazzaville oblige, en effet, à effectuer des dragages de février à avril, selon les années, pour garantir un tirant d’eau de 1,80 m à l’étiage. Les travaux de dragage qui peuvent durer jusqu'à six mois, partiront du CNTF jusqu’au niveau du port public, précise Jean Léonard Mossina, capitaine d’armement au Service commun d’entretien des voies navigables, un groupement d’intérêt économique chargé de l’entretien des voies navigables d’intérêt commun aux deux États du Congo et de Centrafrique.
Depuis cinq mois en effet, le CNTF, la direction technique en charge de la réhabilitation de la flotte fluviale, n’a plus reçu de bateaux dans ses ateliers pour d’éventuelles réparations. Le chenal étant bloqué par le sable, il n’est pas possible de mettre les bateaux à sec. « Si un bateau venait à tomber en panne, hormis le moteur qui peu être réparé, le reste de la coque ne peut pas être touché », explique Pierre Bassoukissa, agent au CNTF et chef du syndicat des travailleurs, qui déplore un manque à gagner pour ce service.
L’opération de désensablement du fleuve devient donc capitale pour le Congo. « Quand le volume d’eau baisse en amont et que la pluviométrie est pauvre au niveau du bassin du Congo, nous en ressentons les effets à Brazzaville. Il y a aussi le bras du fleuve qui a plusieurs tentacules et l’eau s’éparpille. La pente du fleuve est accentuée au niveau de Brazzaville. Lorsque vous arrivez au niveau de l’île Mbamou, au PK 42 au niveau de la RDC et PK 30 au niveau de Brazzaville, vous avez 15% d’eau qui passe par le Congo et 85% par la RDC. Ce qui explique que nous nous ensablons facilement parce que le volume d’eau est faible a l’arrivée », explique Jean Léonard Mossina.
Les effets du changement climatique ont une conséquence quant à la sécheresse des rivières, principalement l’Oubangui et la Sangha, deux affluents majeurs du fleuve. Même si les Services commun d’entretien des voies navigables ont maintenu la profondeur maximum du fleuve à plus de 2 mètres au niveau du port de Brazzaville, outre les difficultés de trafic entre les deux capitales, il n’est pas possible de se rendre à Bétou, dans la Likouala, à cause de l’ensablement au seuil de Zinga, mais également à Bangui à cause de l’étiage, expliquent des agents du port. Il faut encore attendre trois mois avant d’effectuer ce circuit. Pour l’heure, des bateaux arrivent quand même jusqu'à Oyo et Mossaka, dans la Cuvette.
Selon les analystes, l’entretien permanent des rivières est indispensable pour assurer la navigabilité du fleuve, permettre la croissance de l’économie fluviale et désenclaver les populations riveraines. Si le bois extrait de la forêt tropicale, que les exploitants évacuaient hier par voie d’eau, passe désormais le plus souvent par la route, les majors du secteur ne veulent pas non plus prendre de risques en utilisant le plus souvent des pistes pour rejoindre Pointe-Noire ou Douala, au Cameroun.
Si des pertes ne sont pas officiellement signalées par le port, les évaluations montrent qu'une baisse du chiffre d’affaires est certaine. Pour redorer son blason, le port a entamé la réhabilitation de ses infrastructures, des quais notamment, en fin d’année dernière.
Outre l’entretien des eaux et l’assainissement des côtes, encombrées de bateaux rouillés et de débris de toutes sortes, et pour lesquels des accords d’aménagement ont été signés par le gouvernement avec des sociétés spécialisées, la réhabilitation du chantier naval, qui change de statut, et la construction d’unités fluviales sont attendues. L’accord signé entre le ministère des Transports et la société Damen Shipyards Gorinchem le 8 mai 2013 n’a, semble-t-il, pas encore d’effets. À l’instar de la réhabilitation du chantier naval, il prévoit une étude hydrographique des cours d’eau, la construction de quatre vedettes à passagers Transpool et de deux vedettes à passagers pour les Jeux africains de 2015 que le Congo abrite.