Guy Nestor Itoua : « L’intégration continentale prendra le temps qu’il faudra, chacun doit aller à sa vitesse »

Mercredi, Avril 3, 2019 - 12:00

La Zone de libre-échange continentale (Zlec) était le grand sujet de l’Africa CEO Forum qui vient de se tenir à Kigali. L’ambassadeur Guy Nestor Itoua, en poste dans la capitale rwandaise, fait le point sur l’intégration économique.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : L’intégration était en débat à Kigali. Comment bâtir cette fameuse Zlec ?

Guy Nestor Itoua (G.N.I.) : En mars 2018, a été signé ici à Kigali l’accord créant la zone de libre-échange continentale. Le Président Denis Sassou N’Guesso a signé cet accord et la République du Congo l’a déjà ratifié. Néanmoins, pour parler de libre-échange, il faut d’abord commencer par produire. Qu’allons-nous échanger ? Observez les échanges entre l’Afrique et le reste du monde : plus de 70% des biens manufacturés de nos pays ne sont pas produits sur le continent. Ces biens viennent d’autres espaces. Hier d’Europe, aujourd’hui d’Asie (principalement de Chine) et d’autres puissances émergentes comme l’Inde. Le problème de l’Afrique est donc d’abord de produire, ce qui suppose un secteur industriel dynamique et tout ce qui va avec comme l’énergie.

L.D.B. : L’Afrique centrale dans ce domaine a de grandes capacités.

G.N.I.: L’Afrique centrale a des atouts en la matière. Le barrage d’Inga est en mesure de desservir toute la région et bien au- delà. C’est important pour l’intégration régionale très souvent évoquée dans les tribunes internationales, intercontinentales et même régionales. Des études sur ce projet sont menées par des partenaires étrangers mais c’est un vrai projet fondateur pour l’intégration. Nous devons régler ces questions d’énergie au sein du continent. C’est ce qui permettra à l’Afrique de s’approprier des processus liés à la production des biens et à les partager.

L.D.B. : Fabriquer en Afrique coûte cher. Que peut rapidement produire le Congo et avec quelle valeur ajoutée ?

G.N.I. : Le Congo dispose de bois qu’il a déjà commencé à transformer sur place en partie. Et cela est bien stipulé dans le code forestier. Travailler le bois localement évitera de l’exporter sous forme de billes à des fins de transformation ailleurs. Nous disposons aussi de capacités dans l’agriculture. Dans les années 1970 et 1980, le pays était un grand producteur agricole. Nous avons exporté le café et le cacao. Le café était transformé sur place et nous le consommions. Il existait des entreprises dans le secteur agricole telles l’OCC (Office du café et du cacao) et l’ONCPA (Office national de commercialisation des produits agricoles).

Le pays bénéficie de prédispositions physiques et géographiques, de l’espace, une bonne pluviométrie, une bonne hydrologie. Il suffit de mener une réflexion sur ce qu’avaient été les clés de succès des exploitations de café, de cacao dans les départements de la Sangha, la Likouala, la Lekoumou ou encore la partie qui constitue la Cuvette ouest aujourd’hui. Et comment faire pour rééditer cet exploit ! Il y avait des bonnes récoltes de riz à Ewo, dans la Cuvette ouest, dans le Pool ; du tabac dans le département des Plateaux. Et puis il y a aussi les secteurs de la pêche fluviale et maritime ou des mines : or, diamant, fer, potasse que l’on peut réhabiliter, etc.

L.D.B. : Produire nécessite de vendre à l’intérieur et à l’extérieur. C’est ce qui favorise les échanges mais suscite aussi des inquiétudes.

G.N.I: Oui, l’intégration régionale peut susciter des inquiétudes. Les barrières à l’intégration régionale sont d’ordre physique, géographique et surtout administratif ou bureaucratique. Tout cela n’est pas insurmontable. Prenons le cas des barrières géographiques : si l’on peut craindre d’envoyer les produits de Kigali à Brazzaville par la route (ou même le fleuve à partir du port de Kisangani) en traversant la République démocratique du Congo, les marchandises peuvent transiter par le port de Mombassa au Kenya ou celui de Dar-el-Salaam en Tanzanie, redescendre l’océan Indien et remonter l’océan atlantique jusqu’à Pointe-Noire. Il suffit de gérer les aléas dus aux délais.

L.D.B: L’intégration régionale se heurte aussi à des réticences d’ordre politique.

G.N.I. : Le problème est parfois lié à la présence de plusieurs organisations agissant séparément dans un espace géographique. Dans la région des grands lacs cohabitent des organisations qui dépendent de différents centres de décision mais ont les mêmes finalités. C’est le cas de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs et l’Accord-Cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la Région (entendue comme Grands Lacs) qui traitent les mêmes sujets et poursuivent les mêmes objectifs alors que sur le terrain, il ne se dégage pas de complicité explicite entre les deux entités.

L.D.B;: Le continent africain pourra-t-il un jour former un seul ensemble ?

G.N.I. : Il faut croire et oser ! Observez l’expérience des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne. Dans le cas américain, certains États étaient réfractaires à la création des États-Unis d’Amérique. Demandez-leur de quitter cette organisation aujourd’hui. Est-ce qu’ils vont accepter ?

Oui, il faut croire. Ça prendra le temps qu’il faudra mais on peut y arriver. Chacun doit aller à sa vitesse. De l’Europe de l’acier à l’Europe de Bruxelles d’aujourd’hui, il y a eu plusieurs étapes. Nous ne devons pas nous imposer un rythme en fonction de ce qui se passe chez les autres parce que les réalités ne sont pas les mêmes. Les données géographiques, historiques, économiques, environnementales sont différentes.

L.D.B: L’Afrique avance en matière d’intégration. S’il faut du temps, il faut aussi de l’argent.

G.N.I. : L’Afrique a d’importantes potentialités qui peuvent être exploitées pour créer de la richesse. Le comité des réformes de l’Union africaine avait proposé l’instauration d’une taxe sur les importations. C’est une réalité aujourd’hui. Des pays, dont le Congo, appliquent cette mesure qui, à terme, contribuera au renforcement de l’autofinancement de l’Union africaine, par exemple. De même que l’intensification du commerce intra-africain est une pratique qui tend à permettre aux pays africains de renflouer leurs caisses pour financer les grands projets d’intégration et de développement. Aujourd’hui les décideurs africains travaillent pour créer des instruments concourant à appuyer le processus d’intégration du continent. Il suffit d’observer le secteur des banques et assurances qui se développe sur toute l’étendue du continent pour commencer à croire en l’avenir du continent. Demain les banques africaines seront capables de financer des grands projets de développement à l’échelle continentale. Pareil pour les assurances.

L.D.B.: Comment financer les grands projets ?

G.N.I. : Les grandes institutions financières internationales auxquelles nous sommes affiliés n’ont pas été créées par nous ni pour nous. Elles ont été créées avant que l’Afrique n’existe juridiquement et diplomatiquement. Les pays africains doivent s’engager à créer des agences de développement qui répondent aux aspirations du continent. Par exemple, faire du Nepad une agence de développement du continent, appuyée par la Banque africaine de développement ou d’autres structures bancaires continentales à créer sur fonds propres, avec des objectifs en lien avec le processus d’intégration du continent.

L.D.B.: L’ambassade du Congo au Rwanda couvre d’autres pays. Vous êtes aussi doyen des ambassadeurs africains et doyen des ambassadeurs francophones à Kigali.

G.N.I.: L’ambassade de la République du Congo au Rwanda a démarré ses activités en juillet 2016. C’est une ambassade sous-régionale qui couvre le Burundi, l’Ouganda et la Tanzanie depuis Kigali, c’est-à-dire les pays composant l’espace Est Africa Community, sans le Kenya et le Soudan du Sud qui les a rejoints. Notre mandat à la tête de cette mission est placé sous le signe de la diplomatie économique. Nous encourageons des échanges entre les opérateurs économiques du Congo et ceux de ma juridiction. Avec l’ensemble de ces pays, la République du Congo entretient de très bonnes relations d’amitié et de coopération. Et ce climat entretenu par nos plus hautes autorités, doit faciliter les échanges entre ces populations dans l’intérêt du processus d’intégration du continent africain.

L.D.B.: Quelles expertises du Rwanda pourraient être apportées au Congo ?

G.N.I.: La République du Congo et la République du Rwanda sont deux pays qui entretiennent de fructueuses relations d’amitié et de coopération, avec échange de chancelleries et d’ambassadeurs. Nos relations diplomatiques sont soutenues par une commission mixte. Plusieurs activités diplomatiques et sectorielles sont menées en direction de Brazzaville comme de Kigali. Des visites régulières au plus haut niveau de l’Etat, des missions ministérielles et des missions d’experts, sans compter les échanges entre les institutions. Des protocoles s’exécutent entre les deux pays dans les domaines de la sécurisation et la gestion des finances publiques ; la recherche scientifique et l’innovation technologie ; les transports aériens et le commerce. A l’heure où le Congo est engagé dans la lutte contre la corruption et les antivaleurs, l’expérience du Rwanda dans l’accomplissement du MAEP ( Mécanisme africain d’évaluation des pairs) peut faire l’objet d’un nouveau protocole.

L.D.B.: Votre mot de la fin ?

G.N.I.: Le mot de la fin au sortir de Africa CEO Forum, c’est oser. L’Afrique doit oser, elle doit beaucoup produire pour vendre dans le continent et à l’extérieur. Sur le plan économique, l’Afrique ne représente que 2,4% des exportations mondiales et 1,7% pour l’Afrique subsaharienne. Le continent reste faiblement intégré dans les chaînes de valeur mondiale pour les produits transformés alors qu’il regorge d’immenses réserves de ressources naturelles. Sans effort, le continent ne fera que subir l’intégration, subir la mondialisation. Ensemble, les pays africains doivent redéfinir leur place dans le monde et pour ce faire, ils doivent jouer collectifs pour relever le défi de développement, le défi de l’intégration africaine.

 

Propos recueillis par Bénédicte de Capèle à Kigali
Légendes et crédits photo : 
Guy Nestor Itoua, ambassadeur du Congo au Rwanda, fait le point sur l'intégration économique (DR)
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