Un an après la signature à Kigali de l’accord instaurant la Zone de libre-échange continentale (Zlec), c’est ce mois-ci que devrait entrer en vigueur la plus grande zone de libre-échange mondiale créée ces dernières années.
A Kigali, la semaine dernière, l’Africa CEO Forum a été l’occasion d’interventions et de débats visant à mobiliser le secteur privé autour du grand marché commun africain. Quatre chefs d’Etats avaient fait le déplacement pour confirmer leur engagement, accompagnés de délégations ministérielles soucieuses de rassurer dirigeants d’entreprises et bailleurs de fonds. Si la volonté de créer ce marché commun est actée notamment par le Congo, sa concrétisation repose sur l’engagement de toutes les parties concernées. A commencer par les gouvernements.
Grand défenseur de ce projet, le président Paul Kagame l’a réaffirmé à l’ouverture du forum : « Il faut renforcer la gouvernance et faire en sorte que le secteur privé joue son rôle ». Un secteur privé que la Société financière internationale affirme vouloir soutenir. « Notre rôle est d’être plus positifs et actifs en amont, c’est-à-dire de travailler davantage avec les gouvernements et le secteur privé. Nous avons trois milliards de dollars annuels et comptons tripler ces chiffres », a assuré Philippe Le Houérou, directeur général de l’institution financière de la Banque mondiale.
L’enjeu du marché commun est à la hauteur du défi à relever : moins de 20 % des échanges commerciaux se font entre pays du continent. Il faut donc inverser la tendance.
Dans le secteur privé, la création du marché unique africain est identifiée comme un levier de croissance et une opportunité de développement* mais sa mise en application se heurte à de nombreux obstacles. A commencer par les frontières, le manque d’infrastructures de transports ou encore la problématique de l’énergie.
« Le commerce entre Africains est moins élevé pour différentes raisons, en particulier du fait des barrières douanières», a observé le Kényan Vimal Shah, patron du groupe agroalimentaire Bidco Africa. « L’Afrique de l’est se porte mieux parce que les pays ont passé des accords et l’absence de tarifs douaniers au sein de cette communauté permet d’accélérer la mobilité des produits », a-t-il assuré.
Rendre opérationnelle la Zlec suppose de la discipline dans la mise en œuvre des accords douaniers. « Il faudra lever les freins sur le terrain », a alerté Amadou Diallo, directeur général Moyen-Orient et Afrique de DHL.
Parmi ces freins : le manque d’infrastructures de transport à l’échelle continentale. Circuler en saison humide ou dans les zones rurales est difficile. Les solutions sont connues. Il faut renforcer les hubs et créer des corridors de type multimodal (ferroviaires, fluvial, maritime, route) interconnectés pour fluidifier les échanges et diminuer les coûts ; miser aussi sur le digital pour moderniser la logistique. C’est le parti pris du groupe Bolloré qui développe les ports secs ou les navettes fluviales qui distribuent les containers des ports vers les villes.
Mais s’il existe de nombreuses frontières entre les pays africains, les barrières non physiques sont également des freins. Lenteurs administratives et processus laborieux de systèmes d’inspection des marchandises pourraient être améliorés avec l’harmonisation des cadres règlementaires et l’ère des nouvelles technologies.
A Djibouti, affirmait Aboubaker Omar Hardi, président de Djibouti Ports & free zones authority (DPFZA), les transactions sont bouclées… en une heure.
Développer les marchés intérieurs
Parallèlement, à Kigali, des voix se sont élevées sur la nécessité de développer les marchés intérieurs. « Nous devons satisfaire d’abord nos besoins en électricité intérieure avant de nous tourner vers l’extérieur car de nombreux pays sont en situation de déficit et doivent créer les lignes de transport de l’énergie », a rappelé Joël Nana Kontchou, directeur général de Eneo Cameroun, société de production électrique, insistant sur la nécessité de planifier les investissements. « Les gouvernements doivent rassurer le secteur privé et donner des garanties », a-t-il souhaité.
Le transport de l’énergie comme des denrées est bien la condition du développement à l’échelle continentale. Avec l’appui du secteur privé, l’engagement de l’Etat pour sécuriser les investissements et l’apport de financements publics comme privés, le défi est surmontable. C’est ce qu’a souligné le ministre rwandais, Claver Gatete : « Les investissements pour développer les infrastructures coûtent cher aux Etats et mobilisent beaucoup de ressources, il faut donc créer les mécanismes d’incitation pour que le secteur privé investisse dans des projets à long terme avec l’appui des partenaires publics. »… A condition de s’appuyer sur la gouvernance du système privé, a mis en garde un entrepreneur.
Attirer les investisseurs va de pair avec des mesures pour limiter les risques et sécuriser les investissements : là était le grand message de ce forum. La volonté politique est bel et bien au cœur du grand sujet qu’est la Zlec, projet clé de l’Union africaine pour renforcer l’intégration du continent. Penser de façon panafricaine est maintenant un autre défi.
(*) Baromètre Deloitte : 70% des dirigeants d’entreprises africaines ou opérant en Afrique expriment leur confiance en l’avenir économique du continent.