Afrique : le coût de la mauvaise santé estimé à deux mille quatre cents milliards de dollars

Mercredi, Mai 8, 2019 - 12:30

Le chiffre représente les pertes totales annuelles que subiraient les économies africaines en raison des maladies qui y sévissent. De quoi méditer sur les ordres de priorité dans l’investissement, public ou privé.

 Avec une population prévue pour doubler d’ici à 2050 (2,5 milliards d’habitants), le continent noir avance vers une étape décisive de sa transition pour le développement économique. Ce boom démographique accentue la nécessité pour les pays africains d’améliorer leurs systèmes sanitaires afin de bénéficier du dividende démographique que l’augmentation de sa main d’œuvre potentielle pourrait engendrer.

D’après les données de la Banque mondiale, la densité de médecins africains est de deux pour dix mille habitants, très en dessous de la moyenne mondiale (quatorze médecins pour dix mille habitants). D’ici à 2030, les jeunes seront plus de sept cent cinquante millions sur le continent africain, ce qui augmentera la main d’œuvre disponible pour les pays.

Malheureusement, l’état des lieux des politiques sanitaires africaines laisse penser qu’à long terme, le continent risque de passer à côté de cette opportunité économique. Surtout lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonce que les maladies non transmissibles augmenteront de 27% en Afrique au cours des dix prochaines années, entraînant vingt-huit millions de décès supplémentaires.

Ces dernières années, les investissements dans les infrastructures et l’énergie ont augmenté d’un montant supérieur à cinquante millions de dollars, dans le domaine des infrastructures en Afrique ( hausse de 5,9%). En revanche, l’investissement dans la santé reste très modeste. Le boom démographique accentue la nécessité d’améliorer les systèmes sanitaires dans le continent. Une publication récente de l' OMS montre qu'en dépit des engagements pris par les chefs d'État africains de consacrer au moins 15 % du budget public à la santé, seuls quatre pays (Malawi, E-Swatini, Ethiopie, Gambie) ont pu atteindre cet objectif en 2015. A contrario, les données montrent qu'au cours de la période 2000-2015, les dépenses de santé en proportion du budget total ont été réduites dans dix-neuf pays.

 Alors que l'Afrique fait face à une vague de maladies et d’épidémies (Ebola, paludisme, sida, choléra...), la faible orientation des budgets des Etats vers le secteur de la santé augmente la vulnérabilité de leurs économies. D'après la revue "Journal of infectious diseases", l’épidémie d’Ebola a coûté environ cinquante-trois milliards de dollars aux pays d'Afrique de l'ouest, en termes de pertes en vies humaines et de coûts économiques. Dans un rapport intitulé ''Productivity cost of illness'', l’OMS explique que le coût des maladies en termes de perte de productivité pour les pays africains varie d’un minimum de 242,3 millions de dollars (Sao-Tomé-Et-Principe) à huit cent soixante-dix-neuf milliards de dollars (Nigeria). Près de 56,61% de ces coûts est attribué aux affections liées à la maternité, au sida, à la tuberculose, au paludisme, aux maladies tropicales négligées, aux maladies non transmissibles et aux accidents de la route. ''Douze pays de la région représentent l'essentiel des coûts de productivité dus à la mauvaise santé, avec plus de quatre-vingts milliards de dollars dans chaque pays'', indique le document. La plupart de ces coûts seraient liés aux maladies non transmissibles qui comptent pour 37,11% du total des coûts. Cette perte de productivité entraîne des répercussions sur la capacité des Etats à atteindre leurs objectifs de développement durable (ODD).

Une dépendance accentuée à l’aide étrangère

D’après les statistiques, un investissement annuel supplémentaire de six cent soixante-onze milliards de dollars est nécessaire pour que les pays à revenu faible puissent atteindre leurs ODD dans le domaine de la santé. Les pertes de productivité liées aux maladies en Afrique réduisent la capacité des Etats à financer leur développement, alors que le continent a déjà du mal à mobiliser les recettes intérieures nécessaires pour réaliser ses projets. Selon la Commission économique des Nations-unies pour l’Afrique (CEA), le continent devra mobiliser 11 % de son produit intérieur brut (PIB) par an sur les dix prochaines années pour combler son déficit de financement afin d’atteindre les ODD. L'afrique possède l’un des taux les plus élevés en termes de coût de productivité des maladies par rapport au PIB, et affiche le plus faible ratio recettes publiques/PIB au monde (24,5% entre 2000-2018). Conséquences: en plus d’entraîner des pertes importantes en ressources humaines et en productivité, l'Afrique accentue sa dépendance à l’aide étrangère. Ceci, encore plus lorsqu’il s’agit de répondre aux crises sanitaires qui secouent les pays africains.

''Nous savons qu'une bonne santé contribue à l'amélioration du développement des résultats '', a déclaré Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Ajoutant : '' Ce qui n'a pas encore été clairement compris, c'est l'impact de la mauvaise santé sur les résultats en matière de développement''. Une réorientation des politiques publiques vers le secteur de la santé semble inévitable, si l’Afrique veut atteindre un vrai développement.

D’après le journal "The Globalist", ''bien que l'Afrique supporte un quart du fardeau mondial de la maladie, elle n'a que deux pour cent des médecins du monde''. Si les dépenses en santé peuvent paraître secondaires pour les Etats africains, de nombreuses statistiques prouvent qu’une meilleure politique sanitaire est bénéfique pour l’économie.

Selon une étude menée par des chercheurs de l’université de Harvard, l’augmentation d’un an d’espérance de vie de la population d’un pays équivaudrait à une augmentation de 4% de son PIB. A en croire l’Organisation de coopération et de développement économiques, une augmentation de 1 % de l'espérance de vie se traduirait par une augmentation de 6 % du PIB total et de 5 % du PIB par habitant. 

Une bonne politique sanitaire bénéficie à l’économie

En mettant en œuvre les politiques sanitaires exigées par les ODD, les pays africains pourront économiser près de 47% des coûts de productivité induits par les maladies d’ici à 2030, d'après l'OMS. Une meilleure politique sanitaire est donc bénéfique pour l’économie. Au-delà des infrastructures sanitaires, les gouvernements doivent investir dans la formation du personnel afin d’augmenter l’accès pour tous à des soins équitables, et à l’assurance maladie universelle. Enfin, la contribution du secteur sanitaire au PIB de l’Afrique pourrait connaître une véritable embellie si les pays du continent développaient une véritable industrie pharmaceutique pour répondre aux énormes besoins en santé de leur population. Et la demande croissante en médicaments peut faire émerger une importante industrie pharmaceutique. D’après la CEA, l’Afrique pourrait représenter la deuxième opportunité d’affaires au monde dans le secteur de la santé avec 14% de part de marché d’ici à 2030. En investissant dans la santé, le continent pourrait créer seize millions d’emplois supplémentaires et par là, réduire ses importations de produits pharmaceutiques.

Noël Ndong
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