Interview. Pr Michel Ekwalanga : «Mon protocole de traitement consiste en l'utilisation de trois molécules»

Mardi, Avril 28, 2020 - 13:00

Professeur d'université, immunologiste et virologue formé à l'Institut Pasteur de Paris, où il a été chargé de recherches pendant plusieurs années,  Michel Balaka Ekwalanga est actuellement le responsable du laboratoire de l'université de Lubumbashi. Ancien de l'Institut national de recherche biomédicale, il a développé un protocole de traitement du Covid-19, utilisant trois molécules.

Le Courrier de Kinshasa : Vous avez été nommé dans l'équipe de riposte au Covid-19 en RDC. En quoi consiste votre travail  ?

Michel Ekwalanga : Il y a une confusion. J'ai plutôt été nommé dans la commission scientifique du ministère de la Recherche scientifique. Je ne suis pas dans la cellule de riposte. C'est peut-être un problème de personnes. Nous vivons dans un pays où il n'y a pas de priorités nationales. Nous sommes encore dans les rivalités entre individus. Par contre, le projet que j'ai soumis a été accepté parmi les projets de protocole de prise en charge des patients.

LCK : En quoi consiste ce protocole ?

ME : Jusque-là, personne ne sait rien au sujet du virus. Mais il existe plusieurs approches dans la lutte contre le Covid-19. Premièrement, les Cubains, une puissance médicale très importante, utilisent les interférons. Une autre approche privilégie l'utilisation des antirétroviraux qui sont, en général, prescrit contre le VIH-sida. D'autres encore utilisent des antirétroviraux dirigés contre Ebola. C'est parce que tous ces virus ont des similitudes. Ils ont les mêmes génomes, se multiplient dans le cytoplasme et sont enveloppés. Ce protocole consiste en l'utilisation de trois molécules : d'abord les interférons, des molécules antivirales. Il existe des interférons de type 1 et de type 2. Ensuite, mon protocole utilise également la chloroquine dont tout le monde parle actuellement et, enfin, on se sert aussi des antioxydants utilisés aussi par les Marocains et les Américains. Parmi les antioxydants, on retrouve les vitamines A,C, le zinc ou le sélénium. L'originalité consiste en ce que nous modulons les interférons. Nous utilisons les interférons de type 1, dans les conditions de préexposition, c'est-à-dire à titre préventif avant que la personne ne soit malade. Quand nous changeons d'interférons, nous utilisons cela en traitement. Même si la chloroquine pose problème, nous avons des alternatives dans notre protocole. Nous avons aussi une autre molécule dont je ne citerai pas le nom.

L'originalité du protocole de l'université de Lubumbashi, qui est mon protocole, consiste à insérer un aspect « préexpositionnel », c'est-à-dire qu'on peut utiliser un aspect de mon protocole en faveur du personnel médical, qui est directement en contact avec les patients. Et ce protocole sert également de traitement. Ce protocole va être breveté ailleurs qu'au Congo car ici les moyens ne sont pas mis à ma disposition.

L'autre originalité du protocole est que nous avons pris des molécules destinées à d'autres pathologies pour les utiliser dans le traitement du Covid-19. Avec les interférons, les Cubains ont aidé la Chine et l'Italie. Les Cubains sont des spécialistes des interférons utilisés notamment contre les hépatites et le sida. Au Congo, nous avons publié un article pour expliquer qu'on peut soigner les malades du sida, qui sont en échec thérapeutique, avec les antirétroviraux en ajoutant les interférons. Donc, c'est une molécule que personne ne peut contester. En outre, aujourd'hui, tout le monde parle de la chloroquine, notamment Didier Raoult. Notre génie au Congo a été d'associer ces deux molécules en y ajoutant les antioxydants qui luttent contre le stress. En effet, quand on met les gens en confinement, cela crée des stress. Ces derniers sont des causes de mutation des virus. Nous sommes les seuls au monde à avoir ajouté les antioxydants. Nous devons valoriser nos propres protocoles, au lieu de valoriser ceux des étrangers en les utilisant dans notre pays. La riposte du Congo n'utilise pas le protocole congolais alors que ce dernier a été homologué.

LCK : Qu'est-ce qui bloque pour que ce protocole ne soit pas utilisé ?

ME : Nous avons une commission constituée par le ministre de la Recherche scientifique qui est composée de professeurs d'université. Ils ont analysé tous les protocoles proposés et ont adopté le mien. Le ministre de la Recherche scientifique a dit qu'il allait le soumettre au Premier ministre pour que ce protocole soit adopté partout au Congo. Je ne dis pas que c'est le seul protocole à suivre. Je dis juste qu'il faut l'inclure parmi les autres protocoles de traitement. Mais, jusque-là, à Kinshasa, je me demande pourquoi on refuse d'appliquer mon protocole, qui a déjà été accepté par le ministre de la Recherche. Il existe des gens dans le comité de riposte qui considèrent que c'est un problème de personnes, alors que nous sommes face à un problème national.

LCK : Avez-vous déjà appliqué ce protocole à un patient ?

ME : Nous sommes devant une pandémie, où les gens meurent. Quand les Chinois ont utilisé leur protocole, à qui ont-ils demandé l'autorisation ? Quand la France utilise la chloroquine, elle l'a expérimentée où  ? Nous sommes tous confrontés au même virus et le serment d’Hippocrate nous autorise à utiliser les molécules,dès lors qu'ils ne sont pas toxiques et qu'ils peuvent contribuer à la guérison du malade. Chaque pays applique son protocole selon les principes scientifiques et les études seront approfondies après. Les molécules que nous utilisons sont déjà appliquées pour d'autres pathologies. Notre innovation est de les avoir associées pour avoir beaucoup plus de résultats positifs.

LCK : Si au niveau du Congo, votre protocole semble négligé, comptez-vous le proposer ailleurs ?

ME : Je ne voudrais pas faire du chantage à mon pays, mais oui. J'ai d'autres contacts déjà,  je ne vais pas les divulguer. Le Dr Munyangi, qui a travaillé sur l'Artemisia, depuis plusieurs années, a été négligé au Congo et aujourd'hui les Malgaches ont bénéficié de ses travaux. Il est un médecin congolais qui a trouvé, depuis longtemps, l'Artemisia, une molécule que les Malgaches utilisent actuellement. C'est quand même malheureux pour le Congo. Pourquoi le savoir d'un Congolais ne peut-il pas bénéficier à son pays?

LCK : Justement, avez-vous des contacts avec le Dr Jérôme Munyangi ?

ME: C'est un de mes jeunes frères. On est en contact tous les jours. On doit travailler ensemble entre Congolais. Il travaille depuis longtemps sur l'Artemisia, principalement dans la lutte contre le paludisme. L'Artemisia peut aussi être utilisé dans le traitement du Covid-19. Et le Dr Munyangi est prêt à travailler avec notre protocole, en remplaçant notamment la chloroquine par l'Artémisia dont il est spécialiste. Il a été oublié dans la commission mise en place. Moi, je l'ai soutenu et il m'a remercié. Il est prêt à ce que l'on travaille ensemble. Nous sommes tous des Congolais. Il n'y a pas de conflits entre nous.

A l'époque où je travaillais avec le Pr Luc Montagnier, le gouvernement français a défendu les recherches de ce dernier contre Robert Gallo. Mais, au Congo, le gouvernement ne soutient pas ses chercheurs. La molécule trouvée dans l'Artemisia n'est pas une propriété des Malgaches. Les travaux menés par le Dr Jérôme Munyangi ont conduit à la découverte de cette molécule. C'est dommage que les autorités congolaises félicitent les Malgaches, alors que la découverte est congolaise. Aujourd'hui, le protocole de l'université de Lubumbashi a été accepté. Mais où sont les financements ? Où est la faisabilité ?

Tout ce qu'on demande, c'est de nous laisser essayer notre protocole. Je suis sûr que ça va marcher.  Je suis à Lubumbashi, où il n'y a aucun cas jusque-là. Les malades sont à Kinshasa. Pourquoi ne vais-je pas à Kinshasa ? Le président français Emmanuel Macron a rendu visite au Pr Raoult à Marseille. Pourquoi le président de la République n'enverrait-il pas un avion pour l'équipe de l'université de Lubumbashi afin de se rendre à Kinshasa. Le Congo compte beaucoup de scientifiques et d'intellectuels. On ne doit pas toujours faire appel aux mêmes personnes pour gérer les épidémies qui sévissent dans notre pays.

LCK : En dehors de l'Artemisia, certaines personnes pensent renforcer leur système immunitaire en consommant des produits issus de plantes naturelles ? Est-ce efficace ?

ME : Les tradi-praticiens ne peuvent pas se permettre d'être juges et parties. Dans la médecine moderne, nous avons des protocoles à suivre. Les tradi-praticiens devraient faire de même. L'ancien président guinéen, Sekou Toure, avait eu l'intelligence d'associer la médecine moderne et traditionnelle. Et ils ont fait des progrès. La médecine à base de plantes naturelles en Afrique est valable. Mais les praticiens de cette médecine n'ont qu'à suivre des protocoles. Toute la pharmacopée est issue des plantes. Il faut y ajouter la rigidité scientifique. Nous avons beaucoup de plantes qui soignent, mais nous devons nous conformer aux protocoles.

LCK : En quoi consiste votre travail à l'université de Lubumbashi ?

Je suis un spécialiste du VIH et j'ai beaucoup publié à ce sujet  quand je travaillais à l'Institut Pasteur à Paris, dont je suis toujours membre. Au laboratoire de l'université de Lubumbashi, nous travaillons sur le VIH, les techniques de dépistage et les patients qui sont en échec thérapeutique en utilisant les interférons. Mon ambition actuellement est de monter un département de maladies émergentes et immunités. Beaucoup de maladies apparaissent à la suite de la déforestation de notre pays. Cette dernière est à la base de l'apparition de beaucoup de virus.

 

 

 

Patrick Ndungidi
Légendes et crédits photo : 
Pr Michel Ekwalanga
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