Originaire de la RDC et ingénieure informatique, Emillia-Rosette Nlandu-Nzinga effectue actuellement un doctorat en intelligence artificielle à l'université Kingston en Angleterre, où elle est également assistante et enseigne la programmation aux étudiants de graduat notamment « C# », un langage de programmation orientée objet, commercialisé par Microsoft depuis 2002.
Le Courrier de Kinshasa: Pourriez-vous nous dire quel est votre parcours académique et professionnel?
Emillia-Rosette Nlandu-Nzinga : J'effectue actuellement un doctorat de 4 ans en intelligence artificielle. Mon parcours académique a été plutôt intéressant. Quand je suis arrivée au Royaume-Uni en 2009, je ne parlais pas l’anglais. J’ai appris la langue pendant six mois et j’ai fait ma formation en information communication technologie (BTEC) au collège pendant 2 ans. C’est là où j’ai été initiée à l’informatique et que j’ai développé un énorme intérêt pour la programmation.
Une fois mon BTEC terminé, je suis allée à Teesside University en 2012, où j’ai reçu mon bac en informatique avec grande distinction. J’ai obtenu mon diplôme en 2016 et j’ai poursuivi mes études avec un master en software engineering (ingénierie logicielle). J’ai ensuite commencé à travailler en tant qu’ingénieure logicielle et consultante en informatique. Je travaille comme consultante indépendante. J’ai eu à travailler comme consultante SDET (software développer engineer in test/ ingénieur en développement logiciel en test), où j’ai travaillé pour le compte des agences
LCK : Pourquoi avoir choisi de devenir ingénieure informatique ?
EN: J’aime faire partie de la solution. L’innovation me motive, j’aime l’idée de savoir que je crée des applications qui apportent des solutions aux problèmes socio-économiques actuels. En y réfléchissant bien, tout ce que nous utilisons aujourd’hui est une solution développée par quelqu’un. Les ingénieurs informaticiens sont en demande dans toutes les industries, dans toutes les entreprises et pour toutes les fonctions. Pour les applications que j’ai déjà créées, je suis en train de travailler sur mon portfolio. Mon site sera disponible dans quelques semaines, où tous les projets seront présentés.
LCK : Vous êtes la fondatrice de Cheetah Code ? En quoi consistent les activités de cette structure et quels sont ses objectifs ?
EN : Le Cheetah est l’animal le plus rapide du monde alors Cheetah Code est une structure pour les gens qui apprennent vite. « Fast learners, Fast moving ». Cheetah Code est une entreprise d’intérêt communautaire (C.I.C), qui offre une formation professionnelle en ligne dans des disciplines STEM (sciences, technology, engineering and mathématiques) à ceux qui souhaitent se lancer dans une carrière dans le STEM et qui sont sans-emploi réfugiés au sein de la communauté noire.
Nous offrons des cours en ligne correspondant aux besoins de l’industrie ainsi que des bootcamps intensifs pour parcourir toutes les connaissances techniques qu’exigent les industries. Nous proposons également des ateliers pour réaliser son CV et construire son portfolio en ligne et nous préparons également les personnes pour les entretiens d’embauche afin qu’avec nous elles soient équipées pour trouver du travail. Notre objectif est de former vingt mille personnes issues de la communauté BAME (Blacks, Asians and minority ethnic) de la diaspora et en Afrique au long des cinq prochaines années.
LCK : Vous effectuez actuellement un doctorat en intelligence artificielle. Pourquoi avoir choisi cette matière et quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?
EN : Le secteur de la technologie est une industrie en évolution rapide et robuste comme jamais. Des modèles économiques innovants émergent tout le temps. Il est donc important de rester pertinent et d'être au courant des innovations. En tant qu'individu qui aspire au changement, je voulais maîtriser mon domaine en me focalisant sur un sujet difficile mais passionnant pour devenir un expert dans mon domaine. Ma recherche de doctorat porte sur la prévision du trafic à l'aide de Big Data, de Graphics processing unit (GPU) et d'intelligence artificielle. Bien que les tendances technologiques soient mondiales, mon objectif est de participer au développement de solutions d'IA pour aider à améliorer le secteur de l'éducation en Afrique.
En tant que personne qui aspire au changement, il m’est important de comprendre ce que l’intelligence artificielle touche dans notre société moderne ainsi que son importance dans notre vie quotidienne, dans le business et dans la société. L’intelligence artificielle n’améliore pas seulement nos vies mais elle en sauve aussi des millions chaque jour. Avec le nombre de données générées tous les jours, je souhaite être impliquée dans la prise de décisions. Mon rêve est d’aider les business africains à utiliser l’intelligence artificielle pour grandir et se développer. J’aimerais construire une plate-forme en ligne non seulement pour éduquer mais également pour donner du pouvoir à la communauté africaine.
LCK : Justement, comment l'intelligence artificielle peut-elle être utile pour les pays africains en général et la RDC en particulier?
EN: La technologie doit s’intégrer dans l’économie numérique de l’Afrique, y compris dans de le Cloud computing, , la cybersécurité, la chaìne de blocs (blockchain) , l’internet des objets (IdO), l’impression 3D, la biotechnologie, la robotique, l’intelligence artificielle, le stockage des mégadonnées (Big Data) et de l’énergie. L’IA peut servir à développer des solutions africaines qui pourraient contribuer à améliorer les soins de santé, l’éducation et l’agriculture. La plupart du temps, les personnes en Afrique doivent voyager à l’extérieur du continent pour acquérir des compétences informatiques pertinentes et apporter des solutions. Cependant, l’IA présente un grand nombre de solutions face aux problèmes cruciaux auxquels le continent est confronté aujourd’hui , autant dans les secteurs privé que public.
Cependant, une infrastructure numérique inadéquate rend la mise en œuvre de l’IA difficile en raison du manque de connectivité qui est pourtant cruciale. En outre, le manque de compétences techniques pertinentes, en particulier chez les jeunes, est un frein pour l’avenir de l’IA en Afrique.
LCK : Quels sont les challenges auxquels vous faites face en tant que femme noire ingénieure et comment arrivez-vous à les surmonter ?
EN: La question raciale a toujours été une lutte pour les femmes noires dans le monde du travail en général. Entre le questionnement de savoir si elles sont dignes d’avoir le poste qu’elles ont et le manque de soutien autour d’elles, les femmes noires dans le monde des affaires doivent “faire le bonhomme”. L’industrie de la technologie étant dominée par les hommes, mon combat a toujours été la représentation. En tant que femme africaine, précisément congolaise, j’ai dû lutter contre le syndrome de l’imposteur : le fait de ne pas voir beaucoup de femmes africaines dans mon domaine me donnait l’impression d’être un imposteur au début de ma carrière.
Au fil des années, j’ai gagné de la confiance en moi et j’ai appris à viser l’excellence , car c’est la seule chose qui m'empêcherait de passer de bonne à excellente. J’ai appris que lorsque vous excellez dans ce que vous faites, personne ne peut vous arrêter, pas même la discrimination. Pourquoi ? Parce que vos services seront toujours nécessaires. Je me suis également concentrée sur le développement de mon réseau professionnel en m’assurant d’être en contact avec les bonnes personnes de qui je peux apprendre. La technologie est un domaine en évolution rapide, donc suivre les autres professionnels dans le domaine permet de rester constamment informée.
LCK: Quelles sont les compétences requises pour être un(e) bon ingénieure(e) ?
EN: Cette question a de nombreuses réponses avec des points communs. D’une part, on pourrait dire qu’un grand ingénieur en logiciel devrait avoir des compétences en génie logiciel, y compris en programmation et en codage. D’autre part, les compétences des personnes sont aussi importantes que le fait de savoir travailler en équipe. En somme, je dirais que, pour être un grand ingénieur logiciel, il faut avoir de bonnes compétences en résolution de problème et un raisonnement logique. Que vous soyez en équipe ou en train de construire une application, vous devrez suivre des étapes basées sur un raisonnement logique pour résoudre des problèmes. Un grand ingénieur logiciel ne devrait pas seulement être capable de communiquer efficacement avec ses collègues, mais aussi être capable de participer à la prise de décisions importantes.
Pour être un grand ingénieur logiciel, il faut certainement avoir d’excellentes compétences en communication, autant à l’oral qu’à l’écrit. Le développement de logiciels implique le cycle de produit. Donc en tant qu’ingénieur logiciel, il faut constamment communiquer avec d’autres équipes, des gestionnaires et parfois les parties prenantes. Communiquer avec précision vous permettra donc d’éviter beaucoup de soucis.
LCK: Quels sont les enjeux et les défis aujourd'hui dans le secteur des technologies de l'information et de la communication dans le monde en général et en Afrique en particulier?
EN: L’industrie de la technologie a connu une croissance massive. En tant qu’industrie avec un haut niveau de rémunération, ce secteur est encore l’un des plus concurrentiels. Avec de plus en plus de ressources en ligne disponibles et les cursus et certifications en technologie en ligne beaucoup de personnes envisagent des carrières dans la technologie. La diversité jouant un grand rôle dans le changement, on observe la création de beaucoup plus de startups. De même, les principaux défis de l’industrie technologique africaine sont la faible connectivité et le manque de professionnels qualifiés. Une mauvaise connectivité rend difficile,pour les professionnels de la technologie, l'accès à l’information en temps réel et le rattrapage sur le reste du monde. Ils sont donc à la traîne par rapport à l’innovation.
LCK: Quel lien avez-vous gardé avec la RDC, votre pays d'origine ?
EN: La RDC est mon pays et le sera toujours. Tout ce que j’ai en moi me le rappelle. De ce que je mange à mon accent, je suis congolaise et cela ne changera jamais. Le meilleur lien que j’ai avec ma patrie, ce sont mes souvenirs d’enfance, l’école où je suis allée et les amis avec qui je communique encore sur les réseaux sociaux. Je ne serais pas là où je suis si je n’étais pas une femme congolaise et j’en suis fière. Je travaille dur pour aider la famille et les amis autant que je peux ainsi que soutenir des activités en lien avec la communauté congolaises, selon les besoins.
LCK: Quels sont vos projets ?
EN : Avec le projet Cheetah Code qui est en cours, j’aimerais utiliser cette plate-forme pour supporter les projets suivants : « Women in tech Africa » - Les femmes dans l’industrie de la technologie en Afrique ; « Young people to learn to code » - Apprendre à coder pour les jeunes et « Organize tech hackathon » - Organiser un hackathon