Le Pr Alain Kiyindou est enseignant à l’Université Bordeaux Montaigne, chaire Unesco Pratiques émergentes en technologie et communication pour le développement. En tant que panéliste aux Journées nationales des diasporas et de l’Afrique (JNDA) 2022, il a fait une communication. Entretien.
Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Vous publiez, à une fréquence constante, les résultats de vos recherches sur l’évolution du numérique en Afrique francophone. Comment abordez-vous le thème proposé aux JNDA, « Le numérique, levier d’une croissance en Afrique » ?
Pr Alain Kiyindou (Pr A.K.) : J'ai publié un certain nombre d'ouvrages qui analysent le lien entre numérique et développement et j'ai toujours souligné le fait que le numérique est un véritable levier du développement, point de vue partagé par de nombreuses institutions internationales. L'Union africaine précise, d'ailleurs, que « la numérisation crée des emplois, s'attaque à la pauvreté, réduit les inégalités, facilite la fourniture de biens et de services et contribue à la réalisation de l'Agenda 2063 et des objectifs de développement durable ».
Le cadre des JNDA me permet de partager une expérience longue de spécialiste du numérique et d'une expertise développée à la suite d'un certain nombre de rapports d'évaluation du développement du numérique dans différents pays africains.
L'idée que je défends souvent est celle de la nécessité de passer à des politiques nationales, à des politiques sous- régionales, voire régionales, ou du moins leur harmonisation car, comme vous le savez, la question du numérique est un phénomène mondial qui traverse les frontières. On ne peut pas, par exemple, arrêter le fléau de la cybercriminalité en se contentant de mesures nationales. La deuxième idée que je compte développer est que l'Afrique doit se lancer à fond dans le développement du numérique avancé.
Cela suppose de penser la question des données, des infrastructures de calcul et surtout de développement de compétences, en matière notamment d'intelligence artificielle. Dans tous les cas, la diaspora a un rôle important à jouer : rôle de passeur, mais aussi d'alerte, dans la mesure où elle se situe dans deux espaces et se trouve en meilleure position pour comparer et percevoir les principales orientations.
L.D.B. : Comment menez-vous vos actions pour la vulgarisation des pratiques du numérique au Congo, votre pays d’origine ?
Pr A.K. : Le Congo est le pays qui m'a créé, constitué, bref, fait de moi l'expert que je suis. Bien entendu, il est difficile d'être pape chez soi mais on garde toujours cette reconnaissance envers ce pays qui nous a formés. Il peut sembler prétentieux d'étaler ce que l'on fait mais il ne serait pas exagéré de dire que j'ai toujours été disponible pour apporter mon expertise à chaque fois que cela a été nécessaire.
Le mois prochain, par exemple, je serai à Brazzaville dans le cadre du salon international Osiane où il sera, une fois de plus, question du numérique. Le combat le plus important est celui de la formation et j'avoue être déçu que les autorités de l'Université Marien-Ngouabi n'aient pas accueilli favorablement le projet de collaboration proposé par l'Université Bordeaux Montaigne à travers, notamment, la mise en place d'un double diplôme qui aurait pu permettre à certains de nos étudiants de poursuivre facilement leurs études à l'université Bordeaux Montaigne.
Les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce projet que nous avons pu faire accepter à l'Université Bordeaux Montaigne restent, en ce qui me concerne, incompréhensibles, sans toutefois entamer ma volonté de continuer à contribuer à la formation de mes jeunes compatriotes, principalement dans le domaine du numérique.
Après avoir, dans le cadre de l'Unesco, coordonné l'évaluation des indicateurs de l'universalité d'internet au Bénin, au Niger et en Côte d'Ivoire, j'ai proposé que le Congo figure sur la liste des prochains pays à bénéficier du dispositif mis en place. Si ce projet se concrétise, ce sera l'occasion d'opérer un diagnostic sur le développement du numérique au Congo et d'engager une véritable concertation sur ce que nous voulons faire de cet outil car le numérique est un enjeu, un défi, mais aussi un risque.
L.D.B. : Quelle est votre actualité ?
Pr A. K. : Mon actualité est ce merveilleux travail d'évaluation du numérique en Côte-d'Ivoire que nous sommes en train de boucler avec l'appui du ministre de l'Economie numérique, des Télécommunications et de l'Innovation, et cet investissement dans la vulgarisation de l'intelligence artificielle en Afrique.
Avec la mise en place du Centre africain de recherche sur l'intelligence artificielle, le Congo s'est illustré comme pionnier en la matière et je ne peux qu'en être fier puisque je n'arrête pas de mettre en évidence tous les avantages que l'Afrique peut tirer de cette technologie.
C'est dans ce cadre que, le 2 avril prochain, nous organiserons à Paris une séance de présentation d'un ouvrage exceptionnel, "Intelligence artificielle, enjeu et défis pour l'Afrique", publié aux éditions Plus.
La spécificité de cet ouvrage est de croiser les regards des chercheurs, des institutionnels et des professionnels de terrain sur la question de l'intelligence artificielle. Nous profiterons donc de l'occasion de la présentation de cet ouvrage pour engager un débat avec le public sur cette question éminemment actuelle.