Pour la dignité des vaincus, une nouvelle règle…
Beaucoup de personnes détestent le football, et il y a des centaines de millions, voire quelques milliards d'individus, de toutes les conditions sociales, qui en sont fanatiques. Certains d'entre eux ont dû souffrir mardi pour le Brésil sans forcément être de celles ou de ceux qui le supportaient. Que s'est-il passé? Pression psychologique, absence de Neymar, mauvais coaching : aucun de ces éléments ne peut expliquer le scénario que nous avons vécu ce soir-là. Et la seule puissance de l'Allemagne n'explique pas tout non plus.
Si l'on fait le bilan du parcours allemand, que remarque-t-on ? Après avoir humilié le Portugal, cette grande équipe n'a pas été conquérante par la suite, et avec une certaine maturité et un certain réalisme, les équipes du Ghana, de l'Algérie ou de la France, que l'on ne dirait pas faire partie des plus grandes terreurs du football actuel, auraient pu (même dû) battre l'Allemagne. Mardi, l'effondrement du Brésil a donné une fausse impression de puissance sans égale de l'équipe allemande.
Que s'est-il réellement passé avec ces Brésiliens? Personnellement, je ne vois qu'une chose: l'équipe du Brésil a sombré dès les deux premiers buts. Le tout premier l'a relativement désarçonnée, le deuxième l'a littéralement tuée, car cela s'était produit en l'espace d'une dizaine de minutes, puis un troisième but une minute plus tard. Cinq buts en 18 minutes, dans une demi-finale de Coupe du Monde : un record.
Les Brésiliens n'étaient alors plus que des zombies sur le terrain. Aucun des 22 joueurs, donc des deux camps, ne s'attendait à ce scénario. Et dès que les Allemands eurent compris qu'ils avaient assommé les trop pâles copies de Pelé, ils se sont retrouvés comme lors de l'entraînement. Au cours de la deuxième mi-temps, j'ai même cru voir chez eux une certaine retenue, le désir de ne pas enfoncer le clou, mais un nouveau joueur était entré qui voulait sa part de charogne : deux buts supplémentaires.
Comme il s'agit du Brésil, surtout sur son propre sol, ce scénario a été plus qu'un coup de tonnerre et nous a fait oublier que la même Coupe du Monde nous avait déjà offert des sorties tout aussi humiliantes : la puissante Espagne, champion du monde en titre et double champion d'Europe se prend cinq buts contre les Pays-Bas et se fait éliminer au premier tour. Qui l'aurait cru? Le Portugal se prend 4 buts contre l'Allemagne, qui l'aurait cru ? Et même la très modeste équipe de France s'est payé le luxe d'infliger cinq buts à la Suisse (le sixième but aurait pu être valable à une seconde près).
Je ne crois pas que nous aurons une explication rationnelle à la débâcle du Brésil, à cette tragédie, car perdre est la règle pour le foot, surtout lorsqu'il s'agit d'un match à élimination directe. Mais se faire ainsi humilier chez soi, c'est autre chose. Chez soi : voilà la différence avec l'humiliation similaire infligée à l'Espagne. Chez soi.
J'ai eu tellement mal pour eux, pour ces Brésiliens, que je n'osais imaginer ce qu'ils ressentaient, ces joueurs qui sont entrés dans l'histoire du football de la façon la plus honteuse possible, et tant que ce sport existera on parlera d'eux. Ils mourront avec cette honte inscrite comme une croix sur leur front. Au-delà du sport et de ses conséquences sociales et politiques, il y a des joueurs marqués à vie.
Écrivain togolais, Sami Tchak vit et travaille à Paris. Il est l'auteur de Place des fêtes, Hermina, Le Paradis des chiots, Filles de Mexico et Al Capone le Malien