Footbal: les centres de formation étouffent-ils les talents des jeunes joueurs africains ?

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Vendredi, Janvier 16, 2015 - 17:45

Les centres de formation des jeunes joueurs au football, un modèle occidental à la mode dans les pays dits pauvres. Un phénomène qui semble éteindre les qualités techniques des jeunes joueurs, étouffant la dynamique du football de la rue, ce football de proximité qui a produit des grandes stars dont le roi Pelé au niveau mondial et Tostao au Congo.

Les centres de formation académiques de football, sont un modèle occidental de formation des jeunes joueurs, très répondu en Afrique et en Amérique du sud depuis les années 2000. Ils sont un espace destiné à recevoir des enfants des pays dits pauvres, manifestant un intérêt à l’apprentissage du football.

Ce phénomène, étouffe selon certains spécialistes la dynamique du football de rue, ce jeu libre attribué aux milieux pauvres, qui  s’est créé un contexte de formation par lequel les enfants dépourvus de pains ont su acquérir des gestes techniques exceptionnels que l’on ne peut apprendre dans un centre de formation académique.

 Une colonisation footballistique

Il se trouve que de nos jours, il y a extinction ou encore étouffement de ces qualités techniques à cause des effets de ce modèle d’emprunt de formation sur les jeunes joueurs de l’Afrique et de l’Amérique latine. La preuve la plus tangible de cet étouffement vient des matchs de la dernière coupe du monde. Il s’est dégagé l'impression d’une adoption d’un style de jeu commun. Toutes les équipes du monde jouent de la même manière. Les équipes de l’Amérique latine et de l’Afrique ont étalé un style de jeu à coloration occidentale. Le monde du Football semble se diriger vers une uniformisation de style de jeu, une sorte de colonisation footballistique dirait-on.

Les équipes n’ont plus, par le style de jeu, une identité liée à leur apparence culturelle. Le Brésil ne se reconnaît plus que par la couleur des maillots, le style de jeu qui le caractérisait autrefois s’est éteint. Ces centres de formation, dégageant une apparence financière ; ils sont en corrélation avec les recruteurs occidentaux, agissant ainsi sur les jeunes africains ou Sud américains en vue de ravitailler les championnats occidentaux.

C’est une forme de délocalisation en matière de sport ; fabriquer les produits à moindre coût dans les pays pauvres pour une consommation des pays occidentaux. Tous ces jeunes qui intègrent les championnats occidentaux, après être formés dans ces centres, ne sont pas autant performants lorsqu’ils retournent jouer dans leurs pays. Souvent, leur participation aux compétitions internationales pour le compte de leurs pays respectifs est une occasion de se mettre en valeur dans l’espoir de décrocher des contrats alléchants et aussi d’empocher les primes. Rares sont ceux qui se dépensent à fonds dans un élan de nationalisme afin de porter très haut les couleurs de leurs pays respectifs.

Le football s’apprend dans la rue en toute liberté

L’implantation des centres de formation de Football par les animateurs occidentaux ou anciens joueurs professionnels est considérée comme un salut ou une aide par les dirigeants sportifs ; ils ignorent que ce phénomène annihile les valeurs intrinsèques de leurs jeunes joueurs et contribue en même temps à affaiblir le niveau du Football de leurs pays.

En Afrique et en Amérique latine, l’on devrait éviter de faire du copier-coller. Il faudrait supprimer ce modèle de formation qui ne cadre pas avec le contexte social et culturel des pays jugés pauvres. Ce modèle pousse les jeunes joueurs à se déplacer, bottines en main, loin de leurs domiciles, pour intégrer un centre de formation, moyennant parfois de l’argent, ce qui dévoile l’aspect sélectif de l’adhésion à la pratique du football, au risque d'en faire un sport de luxe à l’image du tennis, de la natation et autres.

Dans ces pays nous le savons tous, le Football s’apprend et se pratique dans la rue, il est disponible, visible et populaire. Un enfant d’Afrique ou d’Amérique latine évoluant dans une condition de pauvreté, n’a pas besoin d’apprendre la notion de contrôle de ballon, de dribble ou de passe dans un centre de formation. C’est dans la rue qu’il acquière toutes ces qualités. Pelé, Salif Keita, François Mpelé, Roger Mila, Mbemba Tostao, Ndomba etc. sont des footballeurs formés dans la rue.

Le football de la rue auquel s’adonnent les enfants africains et sud américains doit être fièrement considéré comme un modèle de formation au même titre que les autres. Celui-ci est fondé sur le lien solide établi entre l’enfant et la rue soutenu par la liberté, la joie et surtout l’engouement de taper sur un ballon. Tout modèle de formation favorisant le retrait de l’enfant de la rue contribue à tuer l’âme du football spectaculaire.

La rue créatrice des joueurs aux qualités exceptionnelles

En vérité, c’est la rue qui produit des joueurs aux qualités exceptionnelles, c’est elle qui produit de bons dribbleurs. On peut se référer à l’exemple du Basketball américain, qui s’est construit une identité unique grâce au basketball de la rue « play ground », fournissant à la NBA des joueurs aux gestes techniques exceptionnels, multiples et variés. Le «   smashe » amorcé à partir de la ligne de lancer franc ou encore le smashe avec vrille, sont des gestes techniques inventés dans la rue.

Le Congo a connu un schéma de formation de jeunes joueurs appelé «  le mwana foot ». Un schéma caractérisé par la présence des équipes composées de jeunes de tous les quartiers et villages du pays. Une dynamique plaçant les jeunes dans une situation de formation et en même temps de compétition. Les équipes des ligues  grâce à cette plate-forme, recevaient des joueurs talentueux, aguerris non seulement sur les plans physique, technique et tactique mais aussi sur le plan moral dans le sens de la gestion des stress et pressions engendrés par les grands matchs. La victoire du Congo à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football, en 1972, symbolise le couronnement de cette pratique formative. 

"La mise aux placards du «mwana foot » constitue la cause principale de la contre performance du football congolais."

La qualification des Diables rouges à la CAN 2015,  une performance ponctuelle

La qualification récente des Diables rouges à la CAN 2015 et la victoire de l’équipe de l’AC Léopards de Dolisie au niveau continental ne peuvent être évaluées comme le résultat émanant d’une politique de formation des jeunes joueurs, mais d’un assemblage des joueurs en provenance de plusieurs horizons en vue d’atteindre une performance ponctuelle. Dans ce cas, il est difficile de maintenir cette performance, c'est-à-dire de demeurer toujours les meilleurs. Seule une bonne politique de formation de jeunes peut offrir une possibilité de constance en matière de performance du football congolais.

Les Diables rouges qui regorgeaient des joueurs de grands talents techniques, à l’instar de Nkounkou Matins,  Ndomba le géomètre, Massamba mams,  Okou akaba, Mbama Nkounkou, resteront méconnaissables si l’on n'y prend garde. La beauté du football vient de la réalisation des gestes techniques qui s’acquièrent en toute liberté. Le football générateur de plaisir, d’émotions fortes, de nouvelles sensations est remplacé par  celui qui génère seulement de l’argent.

La capacité psychomotrice de l’enfant africain est particulière en matière d’imitation, de concordance, de synchronisation et d’adaptation, il n’a pas besoin d’apprendre les fondamentaux techniques du football dans un centre de formation quelconque. Le besoin constant de l’enfant qui joue au football dans la rue, demeure la compétition, pour cela, il faudrait procéder à la création des équipes de quartier ce qui engendrera des compétitions  communales, départementales et nationales attraillantes. L’intervention des entraineurs et encadreurs se limiterait  d’accompagner, soutenir et orienter les actions de ces jeunes joueurs baignés dans la logique du jeu libre.

Le football de rue constitue la base qui imprimerait l’identité du foot africain et sud américain. Il faudrait le maintenir, le soutenir, l’améliorer au lieu d’imiter le schéma de formation occidental. Aux dirigeants sportifs et politiques de ces continents d’en prendre conscience car, le socle du développement du football de ces pays devrait se reposer sur les joueurs formés et évoluant au niveau local. L’équipe africaine qui remportera un jour une coupe du monde de football, est celle qui sera composée en majorité de joueurs locaux sous la direction d’un entraîneur africain.

                                                     

Sosthène Milandou
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